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CHAPITRE XXVI.


chœurs de ménades et de bacchantes, armées de thyrses, précédaient le char, selon la remarque judicieuse de l’auteur, qui prend ici Diane pour Bacchus ; mais, comme il a été témoin oculaire, il n’y a rien à lui dire.

Saint Théodote tremblait que ces sept vierges ne succombassent à quelques tentations : il était en prières, lorsque sa femme vint lui apprendre qu’on venait de jeter les sept vieilles dans le lac ; il remercia Dieu d’avoir ainsi sauvé leur pudicité. Le gouverneur fit faire une garde exacte autour du lac, pour empêcher les chrétiens, qui avaient coutume de marcher sur les eaux, de venir enlever leurs corps. Le saint cabaretier était au désespoir : il allait d’église en église, car tout était plein de belles églises pendant ces affreuses persécutions ; mais les païens, rusés, avaient bouché toutes les portes. Le cabaretier prit alors le parti de dormir : l’une des vieilles lui apparut dans son premier sommeil ; c’était, ne vous déplaise, sainte Thécuse, qui lui dit en propres mots : « Mon cher Théodote, souffrirez-vous que nos corps soient mangés par des poissons ? »

Théodote s’éveille, il résolut de repêcher les saintes du fond du lac au péril de sa vie. Il fait tant qu’au bout de trois jours, ayant donné aux poissons le temps de les manger, il court au lac par une nuit noire avec deux braves chrétiens.

Un cavalier céleste se met à leur tête, portant un grand flambeau devant eux pour empêcher les gardes de les découvrir : le cavalier prend sa lance, fond sur les gardes, les met en fuite ; c’était, comme chacun sait, saint Soziandre, ancien ami de Théodote, lequel avait été martyrisé depuis peu. Ce n’est pas tout ; un orage violent mêlé de foudres et d’éclairs et accompagné d’une pluie prodigieuse, avait mis le lac à sec. Les sept vieilles sont repêchées et proprement enterrées.

Vous croyez bien que l’attentat de Théodote fut bientôt découvert ; le cavalier céleste ne put l’empêcher d’être fouetté et appliqué à la question. Quand Théodote eut été bien étrillé, il cria aux chrétiens et aux idolâtres : « Voyez, mes amis, de quelles grâces notre Seigneur Jésus comble ses serviteurs ! il les fait fouetter jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de peau, et leur donne la force de supporter tout cela ; » enfin il fut pendu.

Son ami Fronton le curé fit bien voir alors que le saint était cabaretier : car en ayant reçu précédemment quelques bouteilles d’excellent vin, il enivra les gardes, et emporta le pendu, lequel lui dit : « Monsieur le curé, je vous avais promis des reliques, je vous ai tenu parole. »