Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
DES MARTYRS.


dire que leur Dieu était un Dieu jaloux : belle définition de l’Être des êtres, que de lui imputer le plus lâche des vices !

Les enthousiastes, qui prêchaient dans leurs assemblées, formaient un peuple de fanatiques. Il était impossible que parmi tant de têtes échauffées il ne se trouvât des insensés qui insultassent les prêtres des dieux, qui troublassent l’ordre public, qui commissent des indécences punissables. C’est ce que nous avons vu arriver chez tous les sectaires de l’Europe, qui tous, comme nous le prouverons, ont eu infiniment plus de martyrs égorgés par nos mains que les chrétiens n’en ont jamais eu sous les empereurs.

Les magistrats romains, excités par les plaintes du peuple, purent s’emporter quelquefois à des cruautés indignes ; ils purent envoyer des femmes à la mort, quoique assurément cette barbarie ne soit point prouvée. Mais qui osera reprendre les Romains d’avoir été trop sévères, quand on voit le chrétien Marcel, centurion[1], jeter sa ceinture militaire et son bâton de commandant au milieu des aigles romaines, en criant d’une voix séditieuse : « Je ne veux servir que Jésus-Christ, le roi éternel ; je renonce aux empereurs » ? Dans quelle armée aurait-on laissé impunie une insolence si pernicieuse ? Je ne l’aurais pas soufferte assurément dans le temps que j’étais secrétaire d’État de la guerre, et le duc de Marlborough ne l’eût pas soufferte plus que moi.

S’il est vrai que Polyeucte en Arménie, le jour où l’on rendait grâces aux dieux dans le temple pour une victoire signalée, ait choisi ce moment pour renverser les statues, pour jeter l’encens par terre, n’est-ce pas en tout pays le crime d’un insensé ?

Quand le diacre Laurent refuse au préfet de Rome de contribuer aux charges publiques ; quand, ayant promis de donner quelque argent du trésor des chrétiens, qui était considérable, il n’amène que des gueux au lieu d’argent, n’est-ce pas visiblement insulter l’empereur, n’est-ce pas être criminel de lèse-majesté ? Il est fort douteux qu’on ait fait faire un gril de six pieds pour cuire Laurent, mais il est certain qu’il méritait punition.

L’ampoulé Grégoire de Nysse fait l’éloge de saint Théodore, qui s’avisa de brûler dans Amazée le temple de Cybèle, comme on dit qu’Érostrate avait brûlé le temple de Diane. On a osé faire un saint de cet incendiaire, qui certainement méritait le plus grand supplice. On nous fait adorer ce que nous punissons par le dernier supplice.

  1. Voyez tome XVIII, page 386 ; et XXIV, 485.