Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
CHAPITRE XXVI.


On punit en effet au IIIe siècle quelques-uns des plus fanatiques ; mais en si petit nombre qu’aucun historien romain n’a daigné en parler. Les Juifs, révoltés sous Vespasien, sous Trajan, sous Adrien, furent toujours cruellement châtiés comme ils le méritaient : on leur défendit même d’aller dans leur petite ville de Jérusalem, dont on abolit jusqu’au nom, parce qu’elle avait été toujours le centre de la révolte ; mais il leur fut permis de circoncire leurs enfants sous les murs du Capitole, et dans toutes les provinces de l’empire.

Les prêtres d’Isis furent punis à Rome sous Tibère. Leur temple fut démoli, parce que ce temple était un marché de prostitution, et un repaire de brigands ; mais on permit aux prêtres et prêtresses d’Isis d’exercer leur métier partout ailleurs. Leurs troupes allaient impunément en procession de ville en ville ; ils faisaient des miracles, guérissaient les maladies, disaient la bonne aventure, dansaient la danse d’Isis avec des castagnettes. C’est ce qu’on peut voir amplement dans Apulée. Nous observerons ici que ces mêmes processions se sont perpétuées jusqu’à nos jours. Il y a encore en Italie quelques restes de ces anciens vagabonds, qu’on appelle Zingari, et chez nous Gipsies, qui est l’abrégé d’Égyptiens, et qu’on a, je crois, nommés Bohèmes en France. La seule différence entre eux et les Juifs, c’est que les Juifs, ayant toujours exercé le commerce comme les Banians, se sont maintenus ainsi que les Banians, et que les troupes d’Isis, étant en très-petit nombre, sont presque anéanties.

Les magistrats romains, qui donnaient tant de liberté aux Isiaques et aux Juifs, en usaient de même avec toutes les autres sectes du monde. Chaque dieu était bienvenu à Rome :

Dignus Roma locus, quo deus omnis eat.
(Ovide, Fast., lib. IV, v. 270.)


Tous les dieux de la terre étaient devenus citoyens de Rome. Aucune secte n’était assez folle pour vouloir subjuguer les autres ; ainsi toutes vivaient en paix.

La secte chrétienne fut la seule qui, sur la fin du second siècle de notre ère, osât dire qu’elle voulait donner l’exclusion à tous les rites de l’empire, et qu’elle devait non-seulement dominer, mais écraser toutes les religions ; les christicoles ne cessaient de

    factieux destructeurs des lois de l’empire ; et ce qui démontre qu’ils voulaient commettre ce crime, c’est qu’ils l’ont commis. (Note de Voltaire, 1771.)