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DE LA PERSONNE DE JÉSUS.


C’était déjà un fort grand miracle que trente ou quarante marchands se laissassent fesser par un seul homme, et perdissent leur argent sans rien dire. Il n’y a rien dans Don Quichotte qui approche de cette extravagance. Mais au lieu de faire le miracle qu’on lui demande, il se contente de dire : Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours. Les Juifs repartent, selon Jean : On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, comment en trois jours le rebâtiras-tu ?

Il était bien faux qu’Hérode eût employé quarante-six ans à bâtir le temple de Jérusalem. Les Juifs ne pouvaient pas répondre une pareille fausseté. Et, pour le dire en passant, cela fait bien voir que les Évangiles ont été écrits par des gens qui n’étaient au fait de rien.

Tous ces miracles semblent faits par nos charlatans de Smithfields. Notre Toland et notre Woolston les ont traités comme ils le méritent. Le plus beau de tous, à mon gré, est celui par lequel Jésus envoie le diable dans le corps de deux mille cochons[1], dans un pays où il n’y avait point de cochons.

Après cette belle équipée on fait prêcher Jésus dans les villages. Quels discours lui fait-on tenir ? Il compare le royaume des cieux à un grain de moutarde, à un morceau de levain mêlé dans trois mesures de farine, à un filet avec lequel on pêche de bon et de mauvais poisson, à un roi qui a tué ses volailles pour les noces de son fils, et qui envoie ses domestiques prier les voisins à la noce. Les voisins tuent les gens qui viennent les prier à dîner ; le roi tue ceux qui ont tué ses gens, et brûle leurs villes ; il envoie prendre les gueux qu’on rencontre sur le grand chemin pour venir dîner avec lui. Il aperçoit un pauvre convive qui n’avait point de robe, et au lieu de lui en donner une, il le fait jeter dans un cachot. Voilà ce que c’est que le royaume des cieux selon Matthieu.

Dans les autres sermons, le royaume des cieux est toujours comparé à un usurier qui veut absolument avoir cent pour cent de bénéfice. On m’avouera que notre archevêque Tillotson[2] prêche dans un autre goût.

Par où finit l’histoire de Jésus ? par l’aventure qui est arrivée chez nous et dans le reste du monde à bien des gens qui ont voulu ameuter la populace, sans être assez habiles, ou pour armer cette populace, ou pour se faire de puissants protecteurs ;

  1. Matt., viii ; Marc, v ; Luc, viii.
  2. Voyez tome XXV, pages 510, 534.