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DE LA PERSONNE DE JÉSUS.


Mirja devint grosse de la façon de Panther ; Jocanam, confus et désespéré, quitta Bethléem, et alla se cacher dans la Babylonie, où il y avait encore beaucoup de Juifs. La conduite de Mirja la déshonora ; son fils Jésu ou Jeschut fut déclaré bâtard par les juges de la ville. Quand il fut parvenu à l’âge d’aller à l’école publique, il se plaça parmi les enfants légitimes ; on le fit sortir de ce rang : de là son animosité contre les prêtres, qu’il manifesta quand il eut atteint l’âge mûr ; il leur prodigua les injures les plus atroces, les appelant races de vipères[1], sépulcres blanchis[2]. Enfin, ayant pris querelle avec le Juif Judas sur quelque matière d’intérêt, comme sur des points de religion, Judas le dénonça au sanhédrin[3] ; il fut arrêté, se mit à pleurer, demanda pardon, mais en vain : on le fouetta, on le lapida, et ensuite on le pendit.

Telle est la substance de cette histoire. On y ajouta depuis des fables insipides, des miracles impertinents, qui firent grand tort au fond ; mais le livre était connu dans le second siècle ; Celse le cita, Origène le réfuta ; il nous est parvenu fort défiguré.

Ce fond que je viens de citer est certainement plus croyable, plus naturel, plus conforme à ce qui se passe tous les jours dans le monde qu’aucun des cinquante Évangiles des christicoles. Il est plus vraisemblable que Joseph Panther avait fait un enfant à Mirja qu’il ne l’est qu’un ange soit venu par les airs faire un compliment de la part de Dieu à la femme d’un charpentier, comme Jupiter envoya Mercure auprès d’Alcmène[4].

Tout ce qu’on nous conte de ce Jésus est digne de l’Ancien Testament et de Bedlam. On fait venir je ne sais quel agion pneuma, un saint souffle, un Saint-Esprit dont on n’avait jamais entendu parler, et dont on a fait depuis la tierce partie de Dieu, Dieu lui-même. Dieu le créateur du monde ; il engrosse Marie, ce qui a donné lieu au jésuite Sanchez d’examiner, dans sa

  1. Matthieu, xii, 34.
  2. Marc, xxiii, 27.
  3. Matth., XXIII.
  4. On trouve d’autres particularités dans Suidas, au mot Jésus. L’article est curieux, et, de plus, est un exemple singulier de ces fraudes pieuses si multipliées dans les siècles d’ignorance. Cela parait avoir été écrit un peu après le règne de Justinien Ier, mort en 565, et l’on connaîtrait vers quel temps vivait Suidas s’il était le véritable auteur de cet article ; mais on en trouve dans son Lexique beaucoup d’autres qui semblent être de différentes mains, et plusieurs qui ne peuvent y avoir été ajoutés avant la fin du xie siècle. C’est ce qui a donné lieu aux diverses conjectures des critiques sur cet ouvrage et sur son auteur. (Note de Decroix.)