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CHAPITRE VIII.


qui cherchait des ânesses est élu roi par le sort. Les Juifs étaient alors sous le joug des Chananéens ; ils n’avaient jamais eu de temple ; leur sanctuaire, comme nous l’avons vu[1], était un coffre qu’on mettait dans une charrette : les Chananéens leur avaient pris leur coffre ; Dieu, qui en fut très-irrité, l’avait pourtant laissé prendre ; mais, pour se venger, il avait donné des hémorroïdes aux vainqueurs et envoyé des rats dans leurs champs. Les vainqueurs l’apaisèrent en lui renvoyant son coffre accompagné de cinq rats d’or et de cinq trous du cul aussi d’or[2]. Il n’y a point de vengeance ni d’offrande plus digne du Dieu des Juifs. Il pardonne aux Chananéens, mais il fait mourir cinquante mille et soixante et dix hommes des siens pour avoir regardé son coffre.

C’est dans ces belles circonstances que Saül est élu roi des Juifs. Il n’y avait dans leur petit pays ni épée ni lance ; les Chananéens ou Philistins ne permettaient pas aux Juifs, leurs esclaves, d’aiguiser seulement les socs de leurs charrues et leurs cognées ; ils étaient obligés d’aller aux ouvriers philistins pour ces faibles secours : et cependant on nous conte que le roi Saül[3] eut d’abord une armée de trois cent mille hommes, avec lesquels il gagna une grande bataille[4]. Notre Gulliver a de pareilles fables, mais non de telles contradictions.

Ce Saül, dans une autre bataille, reçoit le prétendu roi Agag à composition. Le prophète Samuel arrive de la part du Seigneur, et lui dit[5] : Pourquoi n’avez-vous pas tout tué ? Et il prend un saint couperet, et il hache en morceaux le roi Agag. Si une telle action est véritable, quel peuple était le peuple juif, et quels prêtres étaient ses prêtres !

Saül, réprouvé du Seigneur pour n’avoir pas lui-même haché en pièces le roi Agag son prisonnier, va enfin combattre contre les Philistins après la mort du doux prophète Samuel. Il consulte sur le succès de la bataille une femme qui a un esprit de Python : on sait que les femmes qui ont un esprit de Python font apparaître des ombres, La pythonisse montre à Saül l’ombre de Samuel, qui sortait de la terre. Mais ceci ne regarde que la belle philosophie du peuple juif : venons à sa morale.

Un joueur de harpe, pour qui l’Éternel avait pris une tendre affection, s’est fait sacrer roi pendant que Samuel vivait encore ;

  1. Ci-dessus, chap. v, page 209.
  2. Rois, liv. Ier, chap. vi, v. 5. (Note de Voltaire.)
  3. I. Rois, chap. xi, v. 8. (Id.)
  4. Ibid., chap. XV. (Id.)
  5. Ibid., chap. XV, v. 19. (Id.)