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AVANT-PROPOS.


hommes sont uniformes. Les principes de la raison universelle sont communs à toutes les nations policées, toutes reconnaissent un Dieu : elles peuvent donc se flatter que cette connaissance est une vérité. Mais chacune d’elles a une religion différente ; elles peuvent donc conclure qu’ayant raison d’adorer un Dieu, elles ont tort dans tout ce qu’elles ont imaginé au delà.

Si le principe dans lequel l’univers s’accorde paraît vraisemblable, les conséquences diamétralement opposées qu’on en tire paraissent bien fausses ; il est naturel de s’en défier. La défiance augmente quand on voit que le but de tous ceux qui sont à la tête des sectes est de dominer et de s’enrichir autant qu’ils le peuvent, et que, depuis les daïris du Japon jusqu’aux évêques de Rome, on ne s’est occupé que d’élever à un pontife un trône fondé sur la misère des peuples, et souvent cimenté de leur sang.

Que les Japonais examinent comment les daïris les ont longtemps subjugués ; que les Tartares se servent de leur raison pour juger si le grand lama est immortel ; que les Turcs jugent leur Alcoran ; mais, nous autres chrétiens, examinons notre Évangile. Dès là que je veux sincèrement examiner, j’ai droit d’affirmer que je ne tromperai pas : ceux qui n’ont écrit que pour prouver leur sentiment me sont suspects.

Pascal commence par révolter ses lecteurs, dans ses pensées informes qu’on a recueillies : « Que ceux qui combattent la religion chrétienne, dit-il, apprennent à la connaître, etc.[1] » Je vois à ces mots un homme de parti qui veut subjuguer.

On m’apprend qu’un curé, en France, nommé Jean Meslier, mort depuis peu[2], a demandé pardon à Dieu, en mourant, d’avoir enseigné le christianisme[3]. Cette disposition d’un prêtre à l’article de la mort fait sur moi plus d’effet que l’enthousiasme de Pascal. J’ai vu en Dorsetshire, diocèse de Bristol, un curé renoncer à une cure de deux cents livres sterling, et avouer à ses paroissiens que sa conscience ne lui permettait pas de leur prêcher les absurdes horreurs de la secte chrétienne. Mais ni le testament de Jean Meslier, ni la déclaration de ce digne curé, ne

  1. Pascal a dit : « Que ceux qui combattent la religion apprennent au moins quelle elle est avant de la combattre. » (B.)
  2. L’Examen important est censé écrit en 1736. Meslier était mort en 1733. Voyez, tome XXIV, page 293 et suiv., l’Extrait des sentiments de Jean Meslier.
  3. Cela est très-vrai ; il était curé d’Étrépigny, près Rocroi, sur les frontières de la Champagne. Plusieurs curieux ont des extraits de son testament. (Note de Voltaire, 1776.)