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déshonorait, qu’il devait faire une réparation authentique ; que lui, son parent, n’oserait plus paraître devant l’offensé : « Je ne suis pas en état, disait-il dans sa lettre, de lui rendre ce qu’il m’a si généreusement prêté. Payez-moi donc ce que vous me devez depuis si longtemps, afin que je sois en état de satisfaire à mon devoir. »

Monsieur d’Auch fut si honteux de son procédé qu’il se tut. La famille nombreuse de l’offensé répondit à son silence par cette lettre, qui fut envoyée de Paris à monsieur d’Auch[1].

Réflexion morale.

C’est une chose digne de l’examen d’un sage que la fureur avec laquelle les jésuites ont combattu les jansénistes, et la même fureur que ces deux partis, ruinés l’un par l’autre, exhalent contre les gens de lettres. Ce sont des soldats réformés qui deviennent voleurs de grand chemin. Le jésuite chassé de son collége, le convulsionnaire échappé de l’hôpital, errants chacun de leur côté, et ne pouvant plus se mordre, se jettent sur les passants.

Cette manie ne leur est pas particulière : c’est une maladie des écoles ; c’est la vérole de la théologie. Les malheureux argumentants n’ont point de profession honnête. Un bon menuisier, un sculpteur, un tailleur, un horloger, sont utiles ; ils nourrissent leur famille de leur art. Le père de Nonotte était un brave et renommé crocheteur de Besançon. Ne vaudrait-il pas mieux pour son fils scier du bois honnêtement que d’aller de libraire en libraire chercher quelque dupe qui imprime ses libelles ? On avait besoin de Nonotte père, et point du tout de Nonotte fils. Dès qu’on s’est mêlé de controverse, on n’est plus bon à rien, on est forcé de croupir dans son ordure le reste de sa vie ; et, pour peu qu’on trouve quelque vieille idiote qu’on ait séduite, on se croit un Chrysostome, un Ambroise, pendant que les petits garçons se moquent de vous dans la rue. Ô frère Nonotte ! frère Pichon ! frère Duplessis ! votre temps est passé ; vous ressemblez à de vieux acteurs chassés des chœurs de l’Opéra, qui vont fredonnant de vieux airs sur le Pont-Neuf pour obtenir quelque aumône. Croyez-moi, pauvre gens, un meilleur moyen pour obtenir du pain serait de ne plus chanter.

  1. Ici Voltaire reproduisait la Lettre pastorale qu’on a vue, tome XXV, page 469, et qu’il était inutile de répéter.