Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà donc l’ex-révérend Nonotte qui, dans un livre dogmatique, pèse le mérite de Quinault dans sa balance. Monsieur l’évêque du Puy en Velay[1] adresse aux habitants du Puy en Velay une énorme pastorale, dans laquelle il leur parle de belles-lettres : Soyez donc philosophes, mes chers frères, dit-il aux chaudronniers du Velay, à la page 229. Mais remarquez qu’il ne leur parle ainsi, par l’organe de Cortiat, secrétaire, qu’après leur avoir parlé de Perrault, de Lamotte, de l’abbé Terrasson, de Boindin ; après avoir outragé la cendre de Fontenelle ; après avoir cité Bacon, Galilée, Descartes, Malebranche, Leibnitz, Newton, et Locke. La bonne compagnie du Puy en Velay a pris tous ces gens-là pour des Pères de l’Église. Cortiat, secrétaire, examine, page 23, si Boileau n’était qu’un versificateur ; et, page 77, si les corps gravitent vers un centre. Dans le mandement, sous le nom de J.-F.[2], archevêque d’Auch, on examine si un poëte doit se borner à un seul talent, ou en cultiver plusieurs.

Ah ! messieurs, non erat his locus[3] Vos troupeaux d’Auch et du Velay ne se mêlent ni de vers ni de philosophie ; ils ne savent pas plus que vous ce que c’est qu’un poëte et qu’un orateur. Parlez le langage de vos brebis.

Vous voulez passer pour de beaux esprits, vous cessez d’être pasteurs ; vous avertissez le monde de ne plus respecter votre caractère. On vous juge comme on jugeait Lamotte et Terrasson dans un café. Voulez-vous être évêques, imitez saint Paul : il ne parle ni d’Homère, ni de Lycophron ; il ne discute point si Xénophon l’emporte sur Thucydide ; il parle de la charité. La charité, dit-il, est patiente[4] ; êtes-vous patients ? elle est bénigne ; êtes-vous bénins ? elle n’est point ambitieuse ; n’avez-vous point eu l’envie de vous élever par votre style ? elle n’est point méchante ; n’avez-vous mis ou laissé mettre aucune malignité dans vos pastorales ?

Beaux pasteurs ! paissez vos ouailles en paix ; et revenons à nos moutons, à nos honnêtetés littéraires.

  1. J.-G. Lefranc de Pompignan ; voyez tome XXV, page 1.
  2. J.-F. de Montillet ; voyez tome XXV, page 469.
  3. Horace, Art poet., 19.
  4. I. aux Corinth., xiii, 4-5.