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15o Voyons si tu entends la théologie mieux que la marine. L’auteur de l’Essai sur les Mœurs, etc., a dit que, selon saint Thomas d’Aquin, il était permis aux séculiers de confesser dans les cas urgents ; que ce n’est pas tout à fait un sacrement, mais que c’est comme sacrement. Il a cité l’édition et la page de la Somme de saint Thomas ; et là-dessus tu viens dire que tous les critiques conviennent que cette partie de la Somme de saint Thomas n’est pas de lui. Et moi, je te dis qu’aucun vrai critique n’a pu te fournir cette défaite. Je te défie de montrer une seule Somme de Thomas d’Aquin où ce monument ne se trouve pas[1]. La Somme était en telle vénération qu’on n’eût pas osé y coudre l’ouvrage d’un autre. Elle fut un des premiers livres qui sortirent des presses de Rome, dès l’an 1474 ; elle fut imprimée à Venise en 1484. Ce n’est que dans des éditions de Lyon qu’on commença à douter que la troisième partie de la Somme fût de lui. Mais il est aisé de reconnaître sa méthode et son style, qui sont absolument les mêmes.

Au reste, Thomas ne fit que recueillir les opinions de son temps, et nous avons bien d’autres preuves que les laïques avaient le droit de s’entendre en confession les uns les autres, témoin le fameux passage de Joinville, dans lequel il rapporte qu’il confessa le connétable de Chypre. Un jésuite du moins devrait savoir ce que le jésuite Tolet a dit dans son livre de l’Instruction sacerdotale, livre I, chap. xvi : Ni femme, ni laïque ne peut absoudre sans privilège ; nec femina, nec laicus, absolvere possunt sine privilegio. Le pape peut donc permettre aux filles de confesser les hommes, cela sera assez plaisant : tu réjouiras fort Besançon en confessant tes fredaines à la vieille fille que tu fréquentes et que tu endoctrines. Auras-tu l’absolution ?

Je veux t’instruire en t’apprenant que cette ancienne coutume, cette dévotion de se confesser mutuellement, vient de la Syrie. Tu sauras donc, Nonotte, que les bons Juifs se confessaient quelquefois les uns aux autres. Le confesseur et le confessé, quand ils étaient bien pénitents, s’appliquaient tour à tour trente-neuf coups de lanières sur les épaules. Confesse-toi souvent, Nonotte ; mais si tu t’adresses à un jacobin, ne va pas lui dire que la Somme de saint Thomas n’est pas de lui ; on ne se bornerait pas à trente-neuf coups d’étrivières. Confesse ta fille, confesse-toi à elle, et elle te fessera plus doucement qu’un jacobin, comme Girard fessait La Cadière, et vice versa.

16o Il me prend envie de t’instruire sur l’Histoire de la Pucelle

  1. Voyez, tome XXIV, la note 3 de la page 513.