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DES PAÏENS

ET DES SOUS-FERMIERS[1]



Un jour le cardinal de Fleury, en présentant au roi les fermiers généraux qui venaient de signer un bail : « Voilà, dit-il, sire, les quarante colonnes de l’État[2]. »

Quelques jours après, un sous-fermier, nommé Blaise Rabau (car il y avait alors des sous-fermiers), alla le dimanche au sermon de la paroisse dans sa terre près de Beaugency, pour édifier ses vassaux ; le prédicateur avait pris pour texte : « Qui n’écoute pas l’Église soit regardé comme un païen ou comme un publicain[3] ! »

M.  Rabau, accompagné de ses amis, sortit en colère, et emmena sa compagnie, aussi indignée que lui. Le prédicateur du village, qui n’y entendait point finesse, alla se présenter à souper chez son seigneur, selon sa coutume : « Vous êtes bien insolent, lui dit M.  Rabau, de m’insulter en chaire, et de m’appeler païen ! Je vous ferai condamner par la chambre de Valence. Apprenez que si les fermiers sont les colonnes de l’État, j’en suis au moins un chapiteau. Où avez-vous pêché, s’il vous plaît, les injures que vous me dites ?

— Monseigneur, répliqua le prédicateur, je vous demande pardon, ce n’est pas ma faute, le texte est de l’Écriture.

— Qu’on la réforme, dit M.  Rabau ; je vous en charge, et vous en répondrez à mes commis. »

Le prédicateur restait muet et confus. Un énorme receveur des tailles, qui était assis auprès du seigneur, prit alors la parole et dit : « Je ne lis jamais que des édits du roi sur les finances ; je ne

  1. Cet opuscule parut, en 1765, dans le tome III des Nouveaux Mélanges.
  2. Oui, dit le marquis de Souvré, ils soutiennent l’État comme la corde soutient le pendu. (K.) — Voltaire a déjà cité le mot de Fleury dans son Plaidoyer pour Ramponeau, tome XXIV, page 117.
  3. Matthieu, xviii, 17.