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EXTRAIT DES SENTIMENTS

apparition, enseignez toutes les nations, et soyez assurés que je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles. »

Luc se contredit lui-même sur ce sujet : car dans son Évangile, ch. XXIV, v. 50, il dit que ce fut en Béthanie qu’il monta au ciel en présence de ses apôtres ; et dans ses Actes des apôtres, supposé qu’il en soit l’auteur, il dit[1] que ce fut sur la montagne des Oliviers. Il se contredit encore lui-même dans une autre circonstance de cette ascension : car il marque dans son Évangile[2], que ce fut le jour même de sa résurrection, ou la première nuit suivante, qu’il monta au ciel ; et dans ses Actes des apôtres[3] il dit que ce fut quarante jours après sa résurrection ; ce qui ne s’accorde certainement pas.

Si tous les apôtres avaient véritablement vu leur maître monter glorieusement au ciel, comment Matthieu et Jean, qui l’auraient vu comme les autres, auraient-ils passé sous silence un si glorieux mystère, et si avantageux à leur maître, vu qu’ils rapportent quantité d’autres circonstances de sa vie et de ses actions qui sont beaucoup moins considérables que celle-ci ? Comment Matthieu ne fait-il pas mention expresse de cette ascension, et n’explique-t-il pas clairement de quelle manière il demeurerait toujours avec eux, quoiqu’il les quittât visiblement pour monter au ciel ? Il n’est pas facile de comprendre par quel secret il pouvait demeurer avec ceux qu’il quittait.

Je passe sous silence quantité d’autres contradictions : ce que je viens de dire suffit pour faire voir que ces livres ne viennent d’aucune inspiration divine, ni même d’aucune sagesse humaine, et par conséquent qu’ils ne méritent pas qu’on y ajoute aucune foi.

CHAPITRE II.

Mais par quel privilége ces quatre Évangiles, et quelques autres semblables livres, passent-ils pour saints et divins, plutôt que plusieurs autres qui ne portent pas moins le titre d’Évangile, et qui ont autrefois été, comme les premiers, publiés sous le nom de quelques autres apôtres ? Si l’on dit que les Évangiles réfutés sont supposés et faussement attribués aux apôtres, on en peut dire autant des premiers ; si l’on suppose les uns falsifiés et cor-

  1. I, 12.
  2. XXIV, 51.
  3. I, 3.