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DÉFENSE DU NEWTONIANISME.

forcés enfin d’en convenir, que la lumière ne rejaillit point des parties solides des corps.

Au lieu de se contenter d’une vérité nouvelle que Newton a démontrée, et qu’on ne peut nier, on imagine une hypothèse, on feint un petit vernis de matière lumineuse répandue dans les pores et sur les surfaces des corps ; on pense qu’à la faveur de ce petit vernis, de cette prétendue atmosphère, on pourra expliquer pourquoi la lumière se réfléchit uniformément sur une glace toujours inégale : cette atmosphère, dit-on, remplit les sinuosités et les aspérités de cette glace. Mais n’est-il pas évident que votre vernis d’atmosphère lumineuse que vous supposez s’attacher intimement à cette glace doit se conformer à sa figure, et que, si cette glace est raboteuse, votre vernis doit l’être aussi ?

Vous avez beau soutenir cette hypothèse par des exemples ; vous avez beau alléguer que tout a son atmosphère, qu’un vaisseau a la sienne, et que c’est cette atmosphère qui fait qu’une halle tombant du haut du mât du vaisseau vient frapper le pied du mât, en décrivant une parabole : vous avez lu, il est vrai, cet exemple dans plusieurs auteurs qui rapportent ce fait à l’impression de l’atmosphère ; mais malheureusement tous ces auteurs-là se sont trompés, et voici en quoi consiste leur erreur et la vôtre.

Qu’un oiseau, planant sur le mât d’un vaisseau qui vogue à pleines voiles, laisse tomber du haut du mât un corps pesant, il s’en faudra beaucoup que ce corps tombe au pied du mât, ni qu’il décrive une parabole : il tombera ou sur la poupe, ou derrière la poupe dans la mer, en ligne droite ; pourquoi ? Parce que le mouvement de la parabole étant le résultat d’une force perpendiculaire sur l’horizon avec une vitesse de projection parallèle à l’horizon, il n’y a point ici de vitesse de projection, mais seulement une force perpendiculaire : par conséquent, point de parabole.

Quel sera donc le cas où ce corps décrira une parabole ? Ce sera lorsqu’il participera à la fois au mouvement horizontal du vaisseau, et au mouvement de gravité qui l’entraînera du haut du mât[1].

Soit le vaisseau A, voguant de A en B, le mât C C, le corps D attaché au mât par une corde que l’on coupe ; le corps a le mou-

  1. Ceci a été fort discuté entre les coperniciens et leurs adversaires. Galilée a tranché la question. Si le mât était assez haut pour que sa vitesse fût sensiblement supérieure à celle du vaisseau, le corps, à cause de la rotation de la terre, tomberait un peu à l’est. (D.)