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MÉMOIRE

Le sujet était : La Nature du feu et sa Propagation.

L’ouvrage dont je rends compte est fondé en partie sur les idées du grand Newton, sur celles du célèbre M.  S’Gravesande, actuellement vivant, mais surtout sur les expériences et les découvertes de M.  Boerhaave, qui, dans sa chimie, a traité à fond cette matière, et l’Europe savante sait avec quel succès.

Il est vrai que ces notions ne sont pas généralement goûtées par messieurs de l’Académie des sciences ; et quoique l’Académie en corps n’adopte aucun système, cependant il est impossible que les académiciens n’adjugent pas le prix aux opinions les plus conformes aux leurs.

Car, toutes choses d’ailleurs égales, qui peut nous plaire que celui qui est de notre avis ?

C’est ainsi qu’on couronna, il y a quelques années, un bon ouvrage du révérend P. Mazière, dans lequel il dit « qu’on ne s’avisera plus d’admettre désormais les forces vives, de calculer la quantité du mouvement par le produit de la masse et du carré de la vitesse », calcul assez proscrit alors dans l’Académie ; mais cette même Académie fit aussi imprimer l’excellente dissertation de M.  Bernouilli, qui a mis le sentiment contraire dans un si beau jour qu’aujourd’hui plusieurs académiciens ne font nulle difficulté d’admettre les forces vives et le carré de cette vitesse.

Voici à peu près un cas pareil : le révérend P. Fiesc, jésuite, assure, dans sa dissertation qui a remporté un des prix, que « le feu élémentaire est une chimère, parce qu’on n’en a jamais vu, et que le feu est un mixte composé de sels, de soufre, d’air, et de matière éthérée ».

Le révérend père traite donc de chimères les admirables idées de Boerhaave : nous sommes bien loin de vouloir abaisser l’ouvrage du savant jésuite, que nous estimons sincèrement ; mais nous pensons, avec la plupart des plus grands physiciens de l’Europe, qu’il est absolument impossible que le feu soit un mixte.

Nous ne nous arrêtons pas beaucoup à combattre cette idée « qu’on ne doit point admettre le feu élémentaire, parce qu’il est invisible », car l’air est souvent invisible, et cependant il existe. La matière éthérée est bien invisible, bien douteuse ; cependant le révérend père l’admet. Il ne paraît pas vrai non plus que nos yeux voient le feu : car il n’y a point de feu plus ardent sur la terre que la pointe du cône lumineux au foyer d’un verre ardent. Cependant, comme le remarque très-bien la dame illustre qui a fait tant d’honneur au sentiment de Boerhaave, on ne voit jamais