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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

« À Paris, ce 12 février 1739.

« J’ai vu, monsieur, un imprimé qui a couru ici, intitulé la Voltairomanie, ou Lettre d’un jeune avocat, en forme de mémoire. J’ai vu au palais la plupart de messieurs les avocats. Après avoir parlé à M. Deniau, qui est à présent notre bâtonnier, je puis vous assurer, monsieur, qu’il n’y a qu’un cri de blâme et d’indignation contre les calomnies atroces répandues dans ce libelle. Le sentiment commun est qu’il n’est pas possible qu’un ouvrage si méchant soit imputé à un avocat, ni même à quelqu’un qui connaîtrait les lois de cette profession, dont le premier devoir est la sagesse.

« Je vous proteste au nom de tous ceux à qui j’ai parlé (et c’est, encore une fois, la meilleure partie du Palais) que, bien loin que quelqu’un s’en avoue l’auteur, tous le condamnent comme extrêmement scandaleux. Je vous ajouterai même que c’est avec une vraie peine que la plupart vous ont vu si injurieusement traité que vous l’êtes dans cet écrit : car nous faisons gloire, monsieur, d’honorer les grands génies, et vos ouvrages sont dans nos mains. Tout cela vous serait attesté par monsieur le bâtonnier au nom de l’ordre, sans la difficulté de convoquer une assemblée générale. Si de pareilles brochures, distribuées sous le nom vague d’un avocat, devenaient fréquentes, nous serions exposés sans cesse à nous mettre en mouvement pour les désavouer. Mais pour suppléer à une attestation en forme, je me suis chargé de vous rendre compte du sentiment général ; et je le fais de l’aveu de tous ceux à qui j’en ai parlé. Je m’en acquitte avec d’autant plus de satisfaction, que c’est ce que j’avais pensé à la vue du libelle.

Je suis avec toute l’estime, etc. Signé : Pageau. »

Il n’y a personne qui, ayant lu cette lettre, et ayant remarqué que le libelle est tout entier en faveur du sieur abbé Guyot-Desfontaines, et plein d’anecdotes qui le regardent, jusque-là même que sa généalogie y est rapportée ; il n’y a personne, dis-je, qui ne voie évidemment pour cent autres raisons qu’aucun avocat n’a composé cet ouvrage. Mais qui donc pourrait en être l’auteur ?

Quoique l’abbé Guyot-Desfontaines soit depuis quelque temps mon plus cruel ennemi, cependant je me garderai bien d’imputer à un homme de son âge, à un prêtre, une si infâme pièce : je croirais lui faire une trop grande injure. Je l’en crois incapable, et en voici les raisons.