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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

respectant, donna des tragédies plus intéressantes, plus purement écrites, et moins pleines de déclamations.

Avant nos bons avocats, on citait les Pères de l’Église au barreau quand il s’agissait du loyer d’une maison ; avant nos bons prédicateurs, on parlait en chaire de Plutarque, de Cicéron, et d’Ovide. Ceux qui ont banni ce mauvais goût en ont-ils purgé la France en se moquant des orateurs leurs contemporains ? Non ; ils ont marché dans la bonne route, et alors on a quitté la mauvaise.

J’aurais bien d’autres exemples à donner pour faire voir que ce n’est point par des satires, mais par des ouvrages écrits dans le bon goût, qu’on réforme le goût des hommes. Mais cette vérité étant suffisamment prouvée, je passe à l’histoire de la satire, que j’ai promise, à ses effets, et à ses progrès. Je commence par Boileau : car en France, quand il s’agit des arts, je crois qu’il n’y a guère d’autre époque à prendre que le règne de Louis XIV.

DE DESPRÉAUX.

L’abbé Furetière, homme caustique et médiocre écrivain, faisait des satires dans le goût de Régnier. Il les montrait à Boileau jeune encore ; le disciple, né avec plus de talent que le maître, profita trop bien dans cette école dangereuse. Il y avait alors à Paris un homme d’une érudition immense, qui écrivait en prose avec assez de grâce et de justesse, qui passait pour bon juge, qui était l’ami et même le protecteur de tous les gens de lettres. S’attendrait-on à voir le nom de Chapelain au bas de ce portrait ? Tout cela est pourtant exactement vrai ; et Chapelain aurait joui d’une grande réputation s’il n’avait pas voulu en avoir davantage. La Pucelle et Boileau firent un écrivain très-ridicule d’un homme d’ailleurs très-estimable.

Malgré cette malheureuse Pucelle, Chapelain était un si galant homme, et si considéré, que le grand Colbert, lorsqu’il engagea Louis XIV à donner des pensions aux gens de lettres, chargea Chapelain de faire la liste de ceux qui méritaient les bienfaits du roi.

Cette faveur de Chapelain irrita le jeune Boileau, qui, dans la première édition de sa première satire, fit imprimer ces vers, lesquels ne sont pas ses meilleurs :


Enfin je ne saurais, pour faire un juste gain,
Aller, bas en rampant, fléchir sous Chapelain.