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DU DOCTEUR AKAKIA.

arriver à une conclusion qu’on peut établir par un raisonnement de dix lignes ; item, que toutes les fois qu’il retroussera ses bras pour calculer trois jours et trois nuits de suite, il se donnera la patience de raisonner auparavant un quart d’heure sur le choix des principes qu’il conviendra d’employer. Et s’il trouve, comme on l’en assure, qu’il pourra se passer d’une bonne partie de son calcul, il nous gratifiera de ce qu’il a de trop, et dont il sait bien que nous avons besoin.

VI. Ce grand homme ne veut point que nous dissimulions qu’il est très-affligé d’avoir écrit que, dans le théorème de M. S’Gravesande, la quantité de la force vive différait de la quantité de l’action, et que la vitesse respective n’est point prise pour invariable dans la solution de notre problème ; et nous-mêmes enfonçons la tête dans notre lapmude[1], honteux d’avoir approuvé de si insignes sottises. Nous demandons pardon au professeur de la Haye d’avoir voulu les soutenir contre ses démonstrations, dont nous avions mal lu et mal rapporté les termes. M. Euler promet de lire une autre fois plus correctement les écrits qu’il voudra réfuter ; et nous ne manquerons jamais de mettre nos lunettes pour voir par nous-mêmes comment il aura lu, lorsqu’il sera question de souscrire à ses réfutations.

VII. Quant au jeune auteur des pièces singulières, qui s’est distingué par un zèle tout à fait particulier pour notre cause, quoiqu’il soit entièrement dégoûté des hautes réputations, nous ne pouvons cependant nous empêcher de faire mention de lui dans le présent traité. Nous voulons qu’il jouisse des avantages de cette paix aussi bien que nous ; et nous promettons qu’il ne la troublera plus par ses excursions dans la métaphysique. Il n’écrira plus sur le cogito, ergo sum[2]. Il ne prendra plus d’opium pour découvrir la nature de l’âme, selon notre méthode ; mais il essayera l’usage de l’ellébore, dont la dose sera réglée par M. Lieberkuhn[3], médecin de notre Académie ; ce qu’il perdra par là en gloire lui sera restitué en argent comptant de la caisse de cette Académie. »

  1. Ce mot, usité dans le Nord, signifie une robe de peau de renne. Voltaire s’est moqué plusieurs fois de l’accoutrement de Maupertuis, qui, à son retour de Tornéo, s’était fait peindre enveloppé de fourrures dans un traîneau. (Cl.)
  2. Mérian avait essayé en vain de se faire remarquer comme un être existant et pensant au moyen d’une rapsodie de quelques pensées de Locke sur le cogito, ergo sum ; c’est du moins en ces termes qu’on en parle dans l’Extrait d’une lettre d’un académicien de Berlin, in-8o de huit pages faisant partie du Maupertuisiana. (B.). — Voyez, sur Mérian, la note de la page 575.
  3. Jean-Nathanael Lieberkuhn, né à Berlin en 1711, et connu surtout comme anatomiste, mourut à la fin de 1756. (Cl.)