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HISTOIRE

« I. Qu’il confesse ingénument de n’avoir jamais appris la philosophie, et qu’il se repent sincèrement de s’être laissé persuader par nous qu’on pouvait la savoir sans l’avoir étudiée. Que désormais il se contentera de la gloire d’être, de tous les mathématiciens de l’Europe, celui qui dans un temps donné peut jeter sur le papier le plus long calcul.

II. Nonobstant cette supériorité dans l’art de computer, ce grand homme promet encore, par notre bouche, d’étudier plus soigneusement qu’il n’a fait par le passé les principes de cet art, et la connexion de ces principes avec les éléments les plus évidents, afin de ne plus contredire Euclide, comme il reconnaît que malheureusement cela lui est arrivé quelquefois.

III. Que quoiqu’il soit le phénix des algébristes, il rougit et rougira toujours d’avoir révolté le sens commun et les notions les plus vulgaires, en concluant de ses formules qu’un corps attiré vers un centre par des forces qui accélèrent continuellement son mouvement s’arrêtera au plus fort de sa volée[1] ; que quelquefois il retournera immédiatement en arrière, sans aucune cause ; et, ce qui serait encore plus miraculeux que tout cela, que dans un certain cas ce corps s’évanouira subitement sans qu’on puisse dire ce qu’il est devenu[2]. Notre lieutenant général est très-fâché d’avoir tiré ces conclusions, dont M. Robins[3] lui a fait connaître le ridicule, et nous-même nous nous repentons de les avoir admirées autrefois, au grand scandale des géomètres.

IV. Qu’afin de radoucir un peu les philosophes allemands, il fera son possible pour ne plus captiver sa raison sous la foi d’une formule erronée. Il demande pardon à genoux à tous les logiciens d’avoir écrit à l’occasion d’un résultat contradictoire de son calcul : Hoc quidem veritati videtur minus consentaneum. Quidquid vero sit hic calculo potiusquam nostro judicio est fidendum[4]. « Cela ne paraît pas pouvoir être vrai. Mais, quoi qu’il en puisse être, il faut plutôt en croire le calcul que notre propre jugement. »

V. Que pour rentrer en grâce auprès des géomètres, il tâchera de mettre à l’avenir un peu d’élégance dans l’analyse qu’il leur offrira ; qu’il n’emploiera plus soixante pages de calcul pour

  1. Voyez Euleri Mechanica, tome 1er, page 208. (Note de Voltaire.)
  2. Ex quo sequitur postquam corpus in centrum pervenerit nusquam amplius reperiri, sed quasi annihilari. Item… Corpus statim ac in centrum pervenerit ibi evanescet, neque ultra centrum progredietur neque revertetur. Voyez page 276, item, page 315. (id.)
  3. Remarks on M. Euler treatise of motion, by Benjamin Robins. (id.)
  4. Voyez Euleri Mechanica, tome 1er, page 208. (id.)