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HISTOIRE

Si quelque compagnon d’étude[1] vient lui proposer avec amitié un avis différent du sien ; s’il lui fait confidence qu’il s’appuie sur l’autorité de M. Leibnitz et de plusieurs autres philosophes ; s’il lui montre en particulier une lettre de Leibnitz qui contredise formellement notre candidat, que ledit candidat n’aille pas s’imaginer sans réflexion, et crier partout qu’on a forgé une lettre de Leibnitz pour lui ravir la gloire d’être un original.

Qu’il ne prenne pas l’erreur où il est tombé sur un point de dynamique, absolument inutile dans l’usage, pour une découverte admirable.

Si ce camarade, après lui avoir communiqué plusieurs fois son ouvrage, dans lequel il le combat avec la discrétion la plus polie, et avec éloge, l’imprime de son consentement, qu’il se garde bien de vouloir faire passer cet ouvrage de son adversaire pour un crime de lèse-majesté académique.

Si ce camarade lui a avoué plusieurs fois qu’il tient la lettre de M. Leibnitz, ainsi que plusieurs autres, d’un homme[2] mort il y a quelques années, que le candidat n’en tire pas avantage avec malignité, qu’il ne se serve pas à peu près des mêmes artifices dont quelqu’un[3] s’est servi contre les Mairan, les Cassini, et d’autres vrais philosophes ; qu’il n’exige jamais, dans une dispute frivole, qu’un mort ressuscite pour rapporter la minute inutile d’une lettre de M. Leibnitz, et qu’il réserve ce miracle pour le temps où il prophétisera ; qu’il ne compromette personne dans une querelle de néant, que la vanité vent rendre importante ; et qu’il ne fasse point intervenir les dieux dans la guerre des rats et des grenouilles. Qu’il n’écrive point lettres sur lettres à une grande princesse, pour forcer au silence son adversaire, et pour lui lier les mains, afin de l’assassiner à loisir[4].

Que dans une misérable dispute sur la dynamique il ne fasse point sommer, par un exploit académique, un professeur de comparaître dans un mois ; qu’il ne le fasse point condamner par contumace, comme ayant attenté à sa gloire, comme forgeur de lettres et faussaire, surtout quand il est évident que les lettres de M. Leibnitz sont de M. Leibnitz, et qu’il est prouvé que les lettres sous

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à M. Koenig du 17 novembre 1752.
  2. Henzy, décapité à Berne.
  3. L’homme en question avait fort tourmenté à Paris MM. de Mairan et Cassini. (Note de Voltaire.)
  4. Il écrivit deux lettres à Mme la princesse d’Orange, pour la supplier d’imposer silence à son adversaire M. Koenig, bibliothécaire de cette princesse, lequel il avait fait condamner comme faussaire. (id.)