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DU DOCTEUR AKAKIA.

l’imagination pourra servir à montrer l’avenir, comme la mémoire montre le passé.

Nous jugeons unanimement que sa cervelle est fort exaltée, et qu’il va bientôt prophétiser, nous ne savons pas encore s’il sera des grands ou des petits prophètes ; mais nous craignons fort qu’il ne soit prophète de malheur, puisque dans son traité du bonheur même il ne parle que d’affliction : il dit surtout que tous les fous sont malheureux[1]. Nous faisons à tous ceux qui le sont un compliment de condoléance ; mais si son âme exaltée a vu l’avenir, n’y a-t-elle pas vu un peu de ridicule ?

9° Il nous paraît avoir quelque envie d’aller aux terres Australes[2], quoique en lisant son livre on soit tenté de croire qu’il en revient ; cependant il semble ignorer qu’on connaît, il y a longtemps, la terre de Frédéric-Henri, située par delà le quarantième degré de latitude méridionale ; mais nous l’avertissons que si, au lieu d’aller aux terres Australes, il prétend[3] naviguer tout droit directement sous le pôle arctique, personne ne s’embarquera avec lui.

10° Il doit encore être assuré qu’il lui sera difficile de faire, comme il le prétend[4], un trou qui aille jusqu’au centre de la terre (où il veut apparemment se cacher de honte d’avoir avancé de telles choses). Ce trou exigerait qu’on excavât au moins trois ou quatre cents lieues de pays, ce qui pourrait déranger le système de la balance de l’Europe. On ne le suivra pas dans son trou, non plus que sous le pôle. Quant à la ville latine qu’il veut bâtir, nous sommes d’avis qu’on la mette au bord de ce trou.

Pour conclusion, nous prions M. le docteur Akakia de lui prescrire des tisanes rafraîchissantes ; nous l’exhortons à étudier dans quelque université, et à y être modeste.

Si jamais on envoie quelques physiciens vers la Finlande pour vérifier, s’il se peut, par quelques mesures, ce que Newton a découvert par la sublime théorie de la gravitation et des forces centrifuges ; s’il est nommé de ce voyage, qu’il ne cherche point continuellement à s’élever au-dessus de ses compagnons ; qu’il ne se fasse point peindre seul aplatissant la terre, ainsi qu’on peint Atlas portant le ciel, comme si l’on avait changé la face de l’univers, pour avoir été se réjouir dans une ville où il y a garnison suédoise ; qu’il ne cite pas à tout propos le cercle polaire.

  1. Page 9. (Note de Voltaire.)
  2. Page 172. (id.)
  3. Page 174. (id.)
  4. Page 186. (id.)