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DU DOCTEUR AKAKIA.

rhubarbe, qu’elle doit purger, ni en voyant des pavots, qu’ils doivent assoupir. Ce qu’on appelle hasard peut seul conduire à la découverte des propriétés des plantes, et les médecins ne peuvent faire autre chose que de conseiller ces remèdes suivant les occasions. Ils en inventent beaucoup avec le secours de la chimie. Ils ne se vantent pas de guérir toujours ; mais ils se vantent de faire tout ce qu’ils peuvent pour soulager les hommes. Le jeune plaisant qui les traite si mal a-t-il rendu autant de services au genre humain que celui qui tira, contre toute apparence, des portes du tombeau le maréchal de Saxe après la victoire de Fontenoy ?

Notre jeune raisonneur prétend qu’il faut que les médecins ne soient plus qu’empiriques[1], et leur conseille de bannir la théorie. Que diriez-vous d’un homme qui voudrait qu’on ne se servît plus d’architectes pour bâtir des maisons, mais seulement de maçons qui tailleraient des pierres au hasard ?

Il donne aussi le sage conseil de négliger l’anatomie[2]. Nous aurons cette fois-ci les chirurgiens pour nous. Nous sommes seulement étonnés que l’auteur qui a eu quelques petites obligations aux chirurgiens de Montpellier, dans des maladies qui demandaient une grande connaissance de l’intérieur de la tête et de quelques autres parties du ressort de l’anatomie, on ait si peu de reconnaissance.

Le même auteur, peu savant apparemment dans l’histoire, en parlant de rendre les supplices des criminels utiles, et de faire sur leurs corps des expériences, dit que cette proposition n’a jamais été exécutée[3] : il ignore ce que tout le monde sait, que du temps de Louis XI on fit pour la première fois en France, sur un homme condamné à mort, l’épreuve de la taille ; que la feue reine d’Angleterre fit essayer l’inoculation de la petite vérole sur quatre criminels, et qu’il y a d’autres exemples pareils.

Mais si notre auteur est ignorant, on est obligé d’avouer qu’il a en récompense une imagination singulière. Il veut, en qualité de physicien, que nous nous servions de la force centrifuge pour guérir une apoplexie[4] et qu’on fasse pirouetter le malade.

  1. Page 119. (Note de Voltaire.)
  2. Page 120. (id.)
  3. Page 198. (id.). — Dans l'édition de 1752, in-4o, des Œuvres de Maupertuis, page 343, on lit : « qui est restée sans exécution ». La citation de Voltaire est donc exacte ; mais Maupertuis, trouvant juste son observation, mit dans l’édition de 1753 de ses Lettres, petit in-12 : « et qui cependant n’a presque jamais eu d’exécution ». (B.)
  4. Page 206. (Note de Voltaire.)