Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
DE LA MARQUISE DU CHÂTELET.

système, c’est-à-dire comme un amas de probabilités qui peuvent servir à expliquer bien ou mal quelques effets de la nature.

S’il y avait encore quelqu’un assez absurde pour soutenir la matière subtile et la matière cannelée ; pour dire que la terre est un soleil encroûté, que la lune a été entraînée dans le tourbillon de la terre, que la matière subtile fait la pesanteur ; pour soutenir toutes ces autres opinions romanesques substituées à l’ignorance des anciens, on dirait : Cet homme est cartésien ; s’il croyait aux monades, on dirait : Il est leibnitzien ; mais on ne dira pas de celui qui sait les Éléments d’Euclide, qu’il est euclidien ; ni de celui qui sait d’après Galilée en quelle proportion les corps tombent, qu’il est galiléiste : aussi, en Angleterre, ceux qui ont appris le calcul infinitésimal, qui ont fait les expériences de la lumière, qui ont appris les lois de la gravitation, ne sont point appelés newtoniens ; c’est le privilége de l’erreur de donner son nom à une secte. Si Platon avait trouvé des vérités, il n’y aurait point eu de platoniciens, et tous les hommes auraient appris peu à peu ce que Platon aurait enseigné ; mais parce que, dans l’ignorance qui couvre la terre, les uns s’attachaient à une erreur, les autres à une autre, on combattait sous différents étendards : il y avait des péripatéticiens, des platoniciens, des épicuriens, des zénonistes, en attendant qu’il y eût des sages.

Si l’on appelle encore en France newtoniens les philosophes qui ont joint leurs connaissances à celles dont Newton a gratifié le genre humain, ce n’est que par un reste d’ignorance et de préjugé. Ceux qui savent peu, et ceux qui savent mal, ce qui compose une multitude prodigieuse, s’imaginèrent que Newton n’avait fait autre chose que combattre Descartes, à peu près comme avait fait Gassendi. Ils entendirent parler de ses découvertes, et ils les prirent pour un système nouveau. C’est ainsi que quand Harvey eut rendu palpable la circulation du sang, on s’éleva en France contre lui : on appela harvéistes et circulateurs ceux qui osaient embrasser la vérité nouvelle que le public ne prenait que pour une opinion. Il le faut avouer : toutes les découvertes nous sont venues d’ailleurs, et toutes ont été combattues. Il n’y a pas jusqu’aux expériences que Newton avait faites sur la lumière qui n’aient essuyé parmi nous de violentes contradictions. Il n’est pas surprenant après cela que la gravitation universelle de la matière, ayant été démontrée, ait été aussi combattue.

Les sublimes vérités que nous devons à Newton ne se sont pleinement établies en France qu’après une génération entière