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UN PHILOSOPHE

Le but, le devoir d’un gouvernement sage est donc évidemment la peuplade et le travail,

Dans nos climats il naît plus de mâles que de femelles, donc il ne faut pas faire mourir les femelles : or il est clair que c’est les faire mourir pour la société que de les enterrer toutes vives dans des cloîtres, où elles sont perdues pour la race présente, et où elles anéantissent les races futures. L’argent perdu à doter des couvents serait donc très-bien employé à encourager des mariages. Je compare les terres en friche qui sont encore en France aux filles qu’on laisse sécher dans un cloître : il faut cultiver les unes et les autres. Il y a beaucoup de manières d’obliger les cultivateurs à mettre en valeur une terre abandonnée ; mais il y a une manière sûre de nuire à l’État : c’est de laisser subsister ces deux abus, d’enterrer les filles, et de laisser les champs couverts de ronces. La stérilité, en tout genre, est, ou un vice de la nature, ou un attentat contre la nature.

Le roi, qui est l’économe de la nation, donne des pensions à des dames de la cour, et cet argent va aux marchands, aux coiffeuses, et aux brodeuses. Mais pourquoi n’y a-t-il pas des pensions attachées à l’encouragement de l’agriculture ? Cet argent retournerait de même à l’État, mais avec plus de profit.

On sait que c’est un vice dans un gouvernement qu’il y ait des mendiants. Il y en a de deux espèces : ceux qui vont en guenilles d’un bout du royaume à l’autre arracher des passants par des cris lamentables de quoi aller au cabaret ; et ceux qui, vêtus d’habits uniformes, vont mettre le peuple à contribution au nom de Dieu, et reviennent souper chez eux dans de grandes maisons où ils vivent à leur aise. La première de ces deux espèces est moins pernicieuse que l’autre, parce que, chemin faisant, elle produit des enfants à l’État, et que, si elle fait des voleurs, elle fait aussi des maçons et des soldats ; mais toutes deux sont un mal dont tout le monde se plaint, et que personne ne déracine. Il est bien étrange que, dans un royaume qui a des terres incultes et des colonies, on souffre des habitants qui ne peuplent ni ne travaillent. Le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d’hommes inutiles. D’où vient qu’il y a eu des peuples qui, ayant moins d’or et d’argent que nous, ont immortalisé leur mémoire par des travaux que nous n’osons imiter ? Il est évident que leur administration valait mieux que la nôtre, puisqu’elle engageait plus d’hommes au travail.

Les impôts sont nécessaires. La meilleure manière de les lever est celle qui facilite davantage le travail et le commerce.