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ET DU PEUPLE.

prince, et quiconque s’opposerait à une institution si salutaire serait regardé comme un ennemi de la patrie[1].

De même, quand le prince, qui est le pasteur de son peuple, voudra augmenter son troupeau, comme il le doit ; quand il voudra rendre aux lois de la nature les imprudents et les imprudentes qui se sont voués à l’extinction de l’espèce et qui ont fait un vœu fatal à la société, dans un âge où il n’est pas permis de disposer de son bien, la société bénira ce prince dans la suite des siècles.

Il y a tel couvent, inutile au monde à tous égards, qui jouit de deux cent mille livres de rente. La raison démontre que si l’on donnait ces deux cent mille livres à cent officiers qu’on marierait, il y aurait cent bons citoyens récompensés, cent filles pourvues, quatre cents personnes au moins de plus dans l’État, au bout de dix ans, au lieu de cinquante fainéants ; elle démontre encore que ces cinquante fainéants, rendus à la patrie, cultiveraient la terre, la peupleraient, et qu’il y aurait plus de laboureurs et de soldats. Voilà ce que tout le monde désire, depuis le prince du sang jusqu’au vigneron, La superstition seule s’y opposait autrefois ; mais la raison soumise à la foi écrase la superstition.

Le prince peut, d’un seul mot, empêcher au moins qu’on ne fasse des vœux avant l’âge de vingt-cinq ans ; et si quelqu’un dit au souverain : « Que deviendront les filles de condition, que nous sacrifions d’ordinaire aux aînés de nos familles ? » le prince répondra : « Elles deviendront ce qu’elles deviennent en Suède, en Danemark, en Prusse, en Angleterre, en Hollande : elles feront des citoyens ; elles sont nées pour la propagation, et non pour réciter du latin, qu’elles n’entendent point. » Une femme qui nourrit deux enfants et qui file rend plus de services à la patrie que tous les couvents n’en peuvent jamais rendre.

C’est un très-grand bonheur pour le prince et pour l’État qu’il y ait beaucoup de philosophes qui impriment ces maximes dans la tête des hommes.

  1. Les rois de France ont été dans l’usage de récompenser avec les biens des ecclésiastiques les services rendus à l’État, depuis Charles Martel jusqu’à Louis XIV ; on lui dit que c’était un abus, et il le crut. On est plus éclairé aujourd’hui ; on sait que les biens ecclésiastiques sont la partie du revenu de l’État employée par le gouvernement à défrayer les dépenses de la religion, et qu’il est le maître de supprimer cette dépense, s’il la juge inutile, en laissant à chacun le soin de payer les prêtres dont il croit avoir besoin. Cependant l’usage établi par le P. La Chaise subsiste encore. (K.)