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LA VOIX DU SAGE

[1]Ce gouvernement serait digne des Hottentots, dans lequel il serait permis à un certain nombre d’hommes de dire : « C’est à ceux qui travaillent à payer ; nous ne devons rien payer, parce que nous sommes oisifs. »

Ce gouvernement outragerait Dieu et les hommes, dans lequel les citoyens pourraient dire : « L’État nous a tout donné, et nous ne lui devons que des prières. »

La raison, en se perfectionnant, détruit le germe des guerres de religion. C’est l’esprit philosophique qui a banni cette peste du monde.

Si Luther et Calvin revenaient au monde, ils ne feraient pas plus de bruit que les scotistes et les thomistes. Pourquoi ? Parce qu’ils viendraient dans un temps où les hommes commencent à être éclairés.

Ce n’est que dans des temps de barbarie qu’on voit des sorciers, des possédés, des rois excommuniés, des sujets déliés de leur serment de fidélité par des docteurs.

La raison nous apprend que le prince peut laisser subsister quelques anciens abus, comme de laisser décider en cour de Rome certaines affaires qu’on pourrait très-bien décider dans son conseil.

Elle nous montre que quand le prince voudra abroger ces coutumes, elles tomberont comme un bâtiment gothique qu’on détruit pour le rebâtir à la moderne.

Elle nous montre que, quand le prince voudra extirper un abus préjudiciable, les peuples doivent y concourir et y concourront, l’abus eût-il quatre mille ans d’ancienneté.

Cette raison nous enseigne que le prince doit être maître absolu de toute police ecclésiastique, sans aucune restriction, puisque cette police ecclésiastique est une partie du gouvernement ; et, de même que le père de famille prescrit au précepteur de ses enfants les heures du travail, le genre des études, etc, de même le prince peut prescrire à tous ecclésiastiques, sans exception, tout ce qui a le moindre rapport à l’ordre public.

Cette raison nous dit à tous que, quand le prince voudra donner, à ceux qui ont versé leur sang pour l’État, des pensions sur des bénéfices, lesquels bénéfices sont une partie du patrimoine de l’État, non-seulement tous les officiers de guerre, mais tous les magistrats, tous les cultivateurs, tous les citoyens, béniront le

  1. Plusieurs des alinéas qui suivent furent reproduits en 1756, dans la réimpression des Pensées sur le Gouvernement : voyez ci-après, année 1752.