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CONTRE LE TESTAMENT POLITIQUE

Le projet de finances, qui remplit presque tout le dernier chapitre, est tiré d’un manuscrit qui existe encore : je l’ai vu ; il est de 1640. Il porte les revenus du roi jusqu’à cent cinquante-neuf millions de ce temps-là, par l’arrangement qu’il propose. L’auteur du testament en retranche deux, tout le reste est conforme. Rien n’est si commun que des projets de cette espèce ; les ministres en reçoivent, et les lisent rarement. Le faussaire, en copiant ces idées, fait bien voir qu’il ne s’était pas donné la peine de connaître par lui-même les finances de Louis XIII. Il avance hardiment que chacune des cinq années de la guerre n’avait coûté que soixante millions : cela n’est pas vrai ; j’ai en main l’état de l’année 1639 ; il se monte à soixante-dix-huit millions neuf cent mille livres. Il est encore faux qu’on ait payé ces charges sans moyens extraordinaires ; il y eut beaucoup de taxations, beaucoup d’augmentations de gages, dont la finance fut fournie ; on augmenta les droits dans les provinces ; on mit une taxe d’un vécu sur chaque tonneau de vin ; on porta la taille de trente-six millions deux cent mille livres jusqu’à trente-huit millions neuf cent mille livres. En un mot, la plupart des choses rapportées dans ce livre sont aussi altérées que les propositions qu’on y fait sont étranges.

XXII. On demandera sans doute comment on a pu faire à la mémoire du cardinal de Richelieu l’affront d’imaginer qu’un tel livre était digne de lui ? Je répondrai que les hommes réfléchissent peu ; qu’ils lisent avec négligence ; qu’ils jugent avec précipitation, et qu’ils reçoivent les opinions comme on reçoit la monnaie, parce qu’elle est courante.

XXIII. Si on m’objecte que le P. Lelong et d’autres ont cru le livre en effet l’ouvrage du cardinal, j’avouerai que le P. Lelong a très-bien compilé environ trente mille[1] titres de livres, et j’ajouterai que par cette raison-là même il n’a pas eu le temps de les examiner ; mais surtout je répondrai que quand on aurait autant d’autorités que le P. Lelong a copié de titres, elles ne pourraient balancer une raison convaincante. Si pourtant la faiblesse des hommes a besoin d’autorités, j’opposerai au P. Lelong et aux autres : Aubery, qui a écrit la vie du cardinal Mazarin ; Ancillon, Richard, l’écrivain qui a pris le nom de Vigneul de Marville[2], et enfin La Mon-

  1. La première édition de l’ouvrage du P. Lelong ne contient que 17,487 articles ; voyez la note 1, tome XIX, page 352.
  2. Argonne (Bonaventure d’) ; c’est sous ce nom que Voltaire en parle dans le Catalogue des écrivains, tome XIV, en tête du Siècle de Louis XIV.