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DU CARDINAL DE RICHELIEU.

un État auquel une communauté puissante doit être redoutable. » Je sais bien que ce trait est adouci quelques lignes après ; mais, de bonne foi, le cardinal de Richelieu pouvait-il croire les jésuites redoutables, lui qui savait ne les rendre qu’utiles, et les punir souvent ? lui qui ne craignait ni la reine, ni les princes, ni la maison d’Autriche, aurait-il craint quelques religieux ? Il avait exilé plusieurs jésuites, aussi bien que quelques pères de l’Oratoire, et d’autres religieux qui étaient entrés dans des cabales, mais ni lui ni l’État n’avaient rien à craindre de ces compagnies. Il serait assurément bien étrange que le vainqueur de la Rochelle se fût plus défié, dans son Testament politique, des jésuites que des huguenots. Cette réflexion n’est pas une preuve convaincante, mais, jointe aux autres, elle sert à faire voir que l’auteur, en prenant le nom d’un premier ministre, n’en a pu prendre l’esprit.

XVIII. S’il fallait relever tous les mécomptes dont cet ouvrage fourmille, je ferais un livre aussi gros que le Testament politique, que la fourberie a composé, que l’ignorance, la prévention, le respect d’un grand nom, ont fait admirer, que la patience du lecteur peut à peine achever de lire, et qui serait ignoré s’il avait paru sous le vrai nom de l’auteur. J’ai déjà, dans un petit ouvrage qui ne comportait pas d’étendue[1], indiqué quelques-unes de ces preuves qui décèlent l’imposture aux yeux de quiconque a du jugement et du goût. En voici une qui est sans, réplique. L’auteur, qui étale, et encore mal à propos, une vaine et fausse érudition sur l’histoire de l’Église, sur le commerce, sur la marine, s’avise, au chapitre IX, section vi, de dire, à propos d’établissements dans les Indes : « Quant à l’Occident, il y a peu de commerce à faire ; Drake, Thomas Cavendish, Herberg, L’Hermite, Lemaire, et feu M. le comte Maurice, qui envoya douze navires à dessein d’y faire commerce, ou d’amitié ou de force, n’ayant pu trouver lieu d’y faire aucun établissement. » Remarquez dans quel temps l’imposteur fait parler le cardinal de Richelieu : c’est en 1640 ; c’est dans le temps même que le feu comte Maurice, qui était plein de vie, gouvernait le Brésil au nom des Provinces-Unies ; c’est après que la compagnie hollandaise des Indes occidentales avait fait des progrès considérables depuis 1622 sans interruption. Remarquez encore qu’au commencement même de cette section vi, l’auteur avoue que « les Hollandais ne donnent pas peu d’affaires aux Espagnols dans les Indes occidentales, où ils occupent la plus grande partie du Brésil ». En vérité, peut-on

  1. Les Conseils à un journaliste ; voyez tome XXII, page 241.