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CONTRE LE TESTAMENT POLITIQUE

dinal[1] ; il eût chargé l’exécuteur de son testament de remettre à Louis XIII cet ouvrage important ; le roi en eût parlé ; tous les mémoires de ce temps-là auraient fait mention d’une anecdote si intéressante : rien de tout cela n’est arrivé. Le silence universel dans une affaire aussi grave doit donner à tout homme de bon sens les plus violents soupçons. Pourquoi ni le manuscrit original, ni aucune copie, n’auraient-ils jamais paru pendant un si grand nombre d’années ? On savait à la mort de César qu’il avait fait des Commentaires ; on savait que Cicéron avait écrit sur l’éloquence ; un manuscrit de Raphaël sur la peinture n’eût pas été ignoré.

III. Cet ouvrage n’est point un projet informe, il est entièrement terminé ; la conclusion finit par une péroraison pleine de morale : « Je supplie Votre Majesté de penser dès à cette heure ce que Philippe II ne pensa peut-être qu’à l’heure de sa mort ; et, pour l’y convier par exemple autant que par raison, je lui promets qu’il ne sera jour de ma vie que je ne tâche de me mettre en l’esprit ce que j’y devrais avoir à l’heure de ma mort sur le sujet des affaires publiques. » Rien ne manque à l’ouvrage pour le rendre complet ; on y trouve jusqu’à l’épître dédicatoire, qu’on a eu l’impudence de signer en Hollande Armand Duplessis, quoique le cardinal n’ait jamais signé ainsi ; on y trouve jusqu’à la table des matières, que l’éditeur ose encore dire rédigée par le cardinal même ; et dans cette épître dédicatoire on le fait parler ainsi au roi : « Cette pièce verra le jour sous le titre de mon Testament politique, parce qu’elle est faite pour servir après ma mort, etc. » Donc en effet cette pièce devait voir le jour après la mort du cardinal ; donc elle devait être présentée au roi d’une manière solennelle ; donc l’original eût dû être signé, être connu ; donc le jour où la famille eût présenté au roi ce legs si important eût été un jour mémorable.

IV. Si, après la mort de Louis XIII, ce manuscrit eût passé entre les mains de quelques ministres, et de là dans celles qui l’ont rendu public, ou en aurait dû savoir quelques circonstances ; l’éditeur aurait dit par quelle voie il aurait été mis en possession de ce manuscrit ; il l’aurait dit d’autant plus hardiment qu’il imprimait le livre dans un pays libre, environ quarante ans après la mort du cardinal, et lorsque le souvenir des inimitiés entre ce ministre et plusieurs grandes maisons était éteint. L’éditeur,

  1. Appelé Palais-Royal depuis qu’il avait été donné au roi par le cardinal. (B.)