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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

de miracles ils ont prodigués, et contre les Turcs, et contre les hérétiques ! Ils ont souvent traité l’histoire comme Homère traite le siège de Troie. Il intéresse toutes les puissances du ciel à la conservation ou à la perte d’une ville. Mais des hommes qui font profession de dire la vérité peuvent-ils imaginer que Dieu prenne parti pour un petit peuple qui combat contre un autre petit peuple dans un coin de notre hémisphère ?

XXXII. Personne ne respecte plus que moi saint François-Xavier : c’était un Espagnol animé d’un zèle intrépide ; c’était le Fernand Cortès de la religion ; mais on aurait dû peut-être ne pas assurer dans l’histoire de sa vie que ce grand homme existait à la fois en deux endroits différents.

Si quelqu’un peut prétendre au don de faire des miracles, ce sont ceux qui vont au bout du monde porter leur charité et leur doctrine ; mais je voudrais que leurs miracles fussent un peu moins fréquents ; qu’ils eussent ressuscité moins de morts ; qu’ils eussent moins souvent converti et baptisé des milliers d’Orientaux en un jour. Il est beau de prêcher la vérité dans un pays étranger, dès qu’on y est arrivé ; il est beau de parler avec éloquence, et de toucher le cœur dans une langue qu’on ne peut apprendre qu’eu beaucoup d’années, et qu’on ne peut jamais prononcer que d’une manière ridicule ; mais ces prodiges doivent être ménagés, et le merveilleux, quand il est prodigué, trouve trop d’incrédules.

XXXIII. C’est surtout dans les voyageurs qu’on trouve le plus de mensonges imprimés. Je ne parle pas de Paul Lucas, qui a vu le démon Asmodée dans la haute Égypte ; je ne parle que de ceux qui nous trompent en disant vrai, qui ont vu une chose extraordinaire dans une nation, et qui la prennent pour une coutume ; qui ont vu un abus, et qui le donnent pour une loi. Ils ressemblent à cet Allemand[1] qui, ayant eu une petite difficulté à Blois avec son hôtesse, laquelle avait les cheveux un peu trop blonds, mit sur son album : « Nota bene, toutes les dames de Blois sont rousses et acariâtres. »

XXXIV. Ce qu’il y a de pis, c’est que la plupart de ceux qui écrivent sur le gouvernement tirent souvent de ces voyageurs trompés des exemples pour tromper encore les hommes. L’empereur turc se sera emparé des trésors de quelques bachas nés esclaves dans son sérail, et il aura fait à la famille du mort la part qu’il aura voulu : donc la loi de Turquie porte que le Grand Turc hérite des biens de tous ses sujets ; il est monarque : donc

  1. On raconte cela de l’historien anglais Smolett.