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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

abattît les images des chrétiens quand il serait sur le trône ; comme si un juif se souciait beaucoup que nous eussions ou non des images.

IV. Je ne désespère pas qu’on ne réimprime que Mahomet II, surnommé le Grand, le prince le plus éclairé de son temps[1] et le rémunérateur le plus magnifique des arts, mit tout à feu et à sang dans Constantinople (qu’il préserva pourtant du pillage), abattit toutes les églises (dont en effet il conserva la moitié), fit empaler le patriarche, lui qui rendit à ce même patriarche plus d’honneurs qu’il n’en avait reçu des empereurs grecs ; qu’il fit éventrer quatorze pages pour savoir qui d’eux avait mangé un melon, et qu’il coupa la tête à sa maîtresse pour réjouir ses janissaires. Ces histoires, dignes de Robert le Diable et de Barbe-Bleue, sont vendues tous les jours avec approbation et privilége.

V. Des esprits plus profonds ont imaginé une autre manière de mentir. Ils se sont établis héritiers de tous les grands ministres, et se sont emparés de tous les testaments. Nous avons vu les Testaments des Colbert et des Louvois[2], donnés comme des pièces authentiques par des politiques raffinés qui n’étaient jamais entrés seulement dans l’antichambre d’un bureau de la guerre ni des finances. Le Testament du cardinal de Richelieu, fait par une main un peu moins inhabile, a eu plus de fortune, et l’imposture a duré très-longtemps. C’est un plaisir surtout de voir dans les recueils de harangues quels éloges on a prodigués à l’admirable testament de cet incomparable cardinal : on y trouvait toute la profondeur de son génie ; et un imbécile qui l’avait bien lu, et qui en avait même fait quelques extraits, se croyait capable de gouverner le monde[3]. On n’a pas été moins trompé au Testament

  1. Sur Mahomet II, voyez tome XII, pages 98-108.
  2. Le Testament de Colbert, 1693, 1711, in-12, est de Sandras de Courtilz, à qui l’on doit aussi le Testament de Louvois, 1693, in-12.
  3. Ici, dans l’édition de 1749, on lisait ce long passage :

    « J’eus quelques soupçons, dès ma jeunesse, que l’ouvrage était d’un faussaire qui avait pris le nom du cardinal de Richelieu pour débiter ses rêveries ; je fis demander chez tous les héritiers de ce ministre si on avait quelque notion que le manuscrit du testateur eût jamais été dans leur maison ; on répondit unanimement que personne n’en avait eu la moindre connaissance avant l’impression. J’ai fait depuis les mêmes perquisitions, et je n’ai pas trouvé le moindre vestige du manuscrit ; j’ai consulté la bibliothèque du roi, les dépôts des ministres, jamais je n’ai vu personne qui ait seulement entendu dire qu’on ait jamais vu une ligne du manuscrit du cardinal. Tout cela fortifia mes soupçons ; et voici les présomptions et les raisons qui me persuadent que le cardinal n’a pas la plus petite part à cet ouvrage.

    1° Le testament ne parut que trente-huit ans après la mort de son auteur