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OPÉRA.

d’ouvrages, la juste étendue qu’il faut pour toucher et pour faire tout son effet.

La déclaration de Phèdre et celle d’Orosmane ne pourraient pas être souffertes sur le théâtre de l’opéra. Notre récitatif exige une hrièveté et une mollesse qui amènent presque nécessairement de la médiocrité. Il n’y a guère qu’Atys et Armide qui se soient élevés au-dessus de ce genre médiocre. Les scènes entre Oreste et Iphigénie sont très-belles, mais cette supériorité même de ces scènes fait languir le reste de l’opéra.

Souffrirait-on que dans nos spectacles réguliers un amant vînt dire, comme dans l’opéra d’Issé[1] :

Que vois-je ? c’est Issé qui repose en ces lieux :
J’y venais pour plaindre ma peine ;
Mais mes cris troubleraient son repos précieux.

On voit que l’auteur, pour éviter les détails, rend compte en un vers de la raison qui l’amène sur le théâtre :

J’y venais pour plaindre ma peine.

Mais cet artifice trop grossier, que les anciens emploient toujours dans leurs tragédies et dans leurs comédies, n’est pas supportable parmi nous.

Thésée, dans l’opéra de ce nom[2], dit à sa maîtresse sans autre préparation : Je suis fils du roi. Elle lui répond : Vous, seigneur ? Le secret de sa naissance n’est pas autrement expliqué. C’est un défaut essentiel. Et si cette reconnaissance avait été bien préparée et bien ménagée ; si tous les détails qui doivent la rendre à la fois vraisemblable et surprenante avaient été employés, le défaut eût été bien plus grand, parce que la musique eût rendu tous ces détails ennuyeux.

Voilà donc un poëme nécessairement défectueux par sa nature. Ajoutez à toutes ces imperfections celle d’être asservi à la stérilité des musiciens, qui ne peuvent exprimer toutes les paroles de notre langue, ainsi que les musiciens d’Italie rendent toutes les paroles italiennes ; il faut qu’ils composent de petits airs, sur lesquels le poète est obligé d’ajouter un certain nombre de paroles oiseuses et plates, qui souvent n’ont aucun rapport direct à la pièce.

  1. Par Lamotte.
  2. Par Quinault, acte IV, scène V.