La liberté de l’homme est un problème sur lequel de grands poëtes se sont exercés aussi bien que les théologiens. Qui croirait qu’on trouve dans Pierre Corneille une dissertation assez étendue sur cette matière épineuse ? C’est dans sa tragédie d’Œdipe.
Il est vrai que le sujet comporte une telle digression ; mais il faut avouer aussi que ces morceaux sont presque toujours froidement reçus au théâtre, qui exige une chaleur d’action et de passion presque continuelle. La controverse ne réussit pas beaucoup dans la tragédie ; et ce que Corneille fait dire à son Œdipe trouvera peut-être ici mieux sa place, aux yeux d’un lecteur de sang-froid, qu’il ne la trouve au théâtre, où le spectateur veut être ému. Quoi qu’il en soit, voici ce morceau, qui est plein de très-grandes beautés (acte III, sc. v) :
Quoi ! la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices ;
Et l’homme sur soi-même a si peu de crédit
Qu’il devient scélérat quand Delphes l’a prédit !
L’âme est donc tout esclave ! une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l’entraîne ;
Et nous ne recevons ni crainte ni désir
De cette liberté qui n’a rien à choisir.
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite, et vicieux sans crime,
Qu’on massacre les rois, qu’on brise les autels,
C’est la faute des dieux, et non pas des mortels.
De toute la vertu sur la terre épandue.
Tout le prix à ces dieux, toute la gloire est due :
Ils agissent en nous, quand nous pensons agir.
Alors qu’on délibère on ne fait qu’obéir ;
Et notre volonté n’aime, hait, cherche, évite,
Que suivant que d’en haut leur bras la précipite.
Cette tirade a des traits vigoureux et hardis qui s’impriment aisément dans la mémoire, parce qu’il n’y a presque point d’épithètes oiseuses ; mais, comme je l’ai déjà dit, de telles beautés sont plus propres à la controverse qu’à la tragédie. Il est bon surtout d’observer que plus ce morceau est raisonné, plus il fau-