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LETTRES FAMILIÈRES.

turc, de Mme Dunoyer[1] ; les Lettres juives, chinoises, cabalistiques. On ne se méprend pas à leur titre. On voit bien que ce ne sont pas de véritables lettres, mais un petit artifice usité, soit pour débiter des choses hardies, soit pour écrire des nouvelles vraies ou fausses. Tous ces ouvrages, qui amusent quelque temps la jeunesse crédule et oisive, sont fort méprisés des honnêtes gens. Il en faut excepter les Lettres persanes : elles sont à la vérité une imitation de l’Espion turc, mais leur style les distingue fort de leur original. Il est nerveux, hardi, singulier, sentencieux ; et il ne manque à cet ouvrage qu’un sujet plus solide.

On a beaucoup réussi en France dans un autre genre de lettres, moitié vers et moitié prose. Ce sont de véritables lettres écrites en effet à des amis, mais écrites avec délicatesse et avec soin. Telle est la lettre dans laquelle Bachaumont et Chapelle rendent compte de leur voyage ; telles sont quelques-unes du comte Antoine Hamilton, de M. Pavillon.

En voici une écrite par l’auteur de la Henriade à un grand roi[2] :

« Les vers que Votre Majesté a faits dans Neiss ressemblent à ceux que Salomon faisait dans sa gloire, quand il disait, après avoir tâté de tout : Tout n’est que vanité. Il est vrai que le bonhomme parlait ainsi au milieu de sept cents femmes et de trois cents concubines, le tout sans avoir donné de bataille ni fait de siége. Mais n’en déplaise, sire, à Salomon et à vous, ou bien à vous et à Salomon, il ne laisse pas d’y avoir quelque réalité dans ce monde :


Conquérir cette Silésie ;
Revenir couvert de lauriers
Dans les bras de la poésie ;
Donner aux belles, aux guerriers,
Opéra, bal et comédie ;
Se voir craint, chéri, respecté.
Et connaître, au sein de la gloire,
L’esprit de la société,
Bonheur si rarement goûté
Des favoris de la victoire ;
Savourer avec volupté,
Dans des moments libres d’affaire,

  1. L’Espion turc est attribué aussi à Marana. Les Lettres juives, chinoises, cabalistiques, sont de d’Argens.
  2. La lettre de Voltaire à Frédéric, du 21 décembre 1741, dans laquelle se trouve le passage transcrit ici, avait été imprimée en 1745, et peut-être plus tôt. (B.)