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LETTRES FAMILIÈRES.

plus que les beautés de détail dont cette tragédie vicieuse et irrégulière est remplie.

La lecture assidue des bons auteurs vous sera encore plus nécessaire, pour vous former un style pur et correct, que l’étude de la plupart de nos grammaires. Ce qu’on apprend sans peine et par le secours du plaisir se fixe bien plus fortement dans la mémoire que ce qu’on étudie avec des dégoûts dans des préceptes secs, souvent très-mal digérés, et dans lesquels on ne trouve que trop de contradictions. Je recommande surtout aux jeunes gens de ne point lire la nouvelle grammaire de l’abbé Girard[1] : elle ne ferait qu’embarrasser l’esprit par les nouveautés difficiles dont elle est remplie ; et surtout elle servirait à corrompre le style. Jamais auteur n’a écrit d’une manière moins convenable à son sujet. Il affecte ridiculement d’employer des tours et des phrases qu’on proscrirait dans ces romans bourgeois et familiers dont nous sommes rassasiés. Qui croirait qu’un auteur qui veut instruire la jeunesse se serve des expressions suivantes dans une grammaire raisonnée ?

« On aura beau fulminer contre mes termes, un discours est une pièce émaillée de différentes phrases.

Les mots doivent, dans le discours, répondre par le rang et l’habillement à leurs fonctions. Les mots au pluriel ont la physionomie décidée.

Le district du pronom, la portion dont il est doté ; les déclinaisons sont battues et terrassées. »

Non-seulement tout ce livre est écrit dans ce misérable style, mais il y a beaucoup de fautes contre la langue. Par exemple, habillement de la nuit, pour habillement de nuit ; quoi faire, pour que faire ; c’est soi qui fait, au lieu de dire on fait soi-même.

Enfin il y a des termes obscènes, malgré le grand précepte de Quintilien qui ordonne d’en éviter jusqu’aux moindres apparences.

Les grammaires de l’abbé Régnier-Desmarets et de Restaut[2] sont bien plus sages et plus instructives.

LETTRES FAMILIÈRES.

Les lettres familières écrites avec négligence, et d’un style approchant de la conversation, vous pourront donner l’usage de

  1. Vrais Principes de la langue française, 1747, deux volumes in-12.
  2. L’une, de 1705 ; l’autre, de 1730.