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LANGAGE.

Rentrez dans le néant, mortels audacieux.
Il vole sur les vents, il s’assied sur les cieux.
Il a dit à la mer : Brise-toi sur ta rive ;
Et dans son lit étroit la mer reste captive.
Les foudres vont porter ses ordres confiés,
Et les nuages sont la poudre de ses pieds.
C’est ce dieu qui d’un mot éleva nos montagnes,
Suspendit le soleil, étendit nos campagnes ;
Qui pèse l’univers dans le creux de sa main.
Notre globe à ses yeux est semblable à ce grain
Dont le poids fait à peine incliner la balance.
Il souffle, et de la mer tarit le gouffre immense.
Nos vœux et nos encens sont dus à son pouvoir.

Il faut avouer que les plus beaux vers de ce passage sont ceux où M. Racine a suivi son génie, et les plus mauvais sont ceux qu’il a voulu copier de l’hébreu : tant le tour et l’esprit des deux langues est différent. Peser l’univers dans le creux de sa main ne paraît en français qu’une image gigantesque et peu noble, parce qu’elle présente à l’esprit l’effort qu’on fait pour soutenir quelque chose, en formant un creux dans sa main. Quand quelque chose nous choque dans une phrase, il faut en chercher la source, et on la trouve sûrement : car je ne sais quoi n’est jamais une raison. Il n’est pas permis à un homme de lettres de dire que cela ne plaît pas, à moins que la raison n’en soit palpable, qu’elle n’ait pas besoin d’être indiquée. Par exemple, ce n’est pas la peine de disserter pour faire voir que ce vers est très-mauvais :

 Et les nuages sont la poudre de ses pieds.

Car, outre que l’image est très-dégoûtante, elle est très-fausse. On sait assez aujourd’hui que l’eau n’est point de la poudre. Mais le reste du morceau est beau. Il ne faudrait pas, à la vérité, trop répéter ces idées, elles deviennent alors des lieux communs. Le premier qui les emploie avec succès est un maître, et un grand maître ; mais, quand elles sont usées, celui qui les emploie encore court risque de passer pour un écolier déclamateur.

LANGAGE.

Le moyen le plus sûr et presque le seul d’acquérir une connaissance parfaite des finesses de notre langue, et surtout de ces