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DIALOGUES EN PROSE.


Numa, qui fit nos lois, y fut soumis lui-même.
Rome enfin, je l’avoue, a fait un mauvais choix, etc.


J’avoue hardiment que je donne ici la préférence au style de Brutus.

Après ces quatre tragiques, je n’en connais point qui méritent la peine d’être lus ; d’ailleurs, il faut se borner dans les lectures. Il n’y a dans Corneille que cinq ou six pièces qu’on doive, ou plutôt qu’on puisse lire ; il n’y a que l’Électre et le Rhadamiste chez M.  de Crébillon dont un homme qui a un peu d’oreille puisse soutenir la lecture ; mais pour les pièces de Racine, je conseille qu’on les lise toutes très-souvent, hors les Frères ennemis.

DIALOGUES EN PROSE.

Les premiers dialogues supportables qu’on ait écrits en prose dans notre langue sont ceux de La Mothe le Vayer ; mais ils ne peuvent, en aucune manière, être comparés à ceux de M.  de Fontenelle. J’avouerai aussi que ceux de M.  de Fontenelle ne peuvent être comparés à ceux de Cicéron, ni à ceux de Galilée, pour le fond et la solidité.

Il semble que cet ouvrage ne soit fait uniquement que pour montrer de l’esprit. Tout le monde veut en avoir, et on croit en faire provision quand on lit ces dialogues. Ils sont écrits avec de la légèreté et de l’art ; mais il me semble qu’il faut les lire avec beaucoup de précaution, et qu’ils sont remplis de pensées fausses.

Un esprit juste et sage ne peut souffrir que la courtisane Phryné se compare à Alexandre, et qu’elle lui dise que « s’il est un aimable conquérant, elle est une aimable conquérante ; que les belles sont de tous pays, et que les rois n’en sont pas, etc.[1] »

Rien n’est plus faux que dire que « les hommes se défendraient trop bien si les femmes les attaquaient[2] ». Toute cette métaphysique d’amour ne vaut rien, parce qu’elle est frivole et qu’elle n’est pas vraie.

Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable[3].

  1. « Alexandre. Si j’avais à revivre, je voudrais être encore un illustre conquérant. — Phryné. Et moi, une aimable conquérante… Les belles sont de tous pays, et les rois même, ni les conquérants, n’en sont pas. » (Premiers Dialogues des morts anciens, I. Alexandre, Phryné.)
  2. Premiers Dialogues des morts anciens avec des modernes, II. Sapho, Laure.
  3. Boileau, épître IX, 43.