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DIALOGUES EN VERS.

Assurément des caresses constantes, et sans s’arrêter, faites à la même fleur, sont le symbole de la fidélité, et ne ressemblent en rien à une maîtresse volage. L’auteur a été emporté par l’idée du zéphyr, qui d’ordinaire sert de comparaison aux inconstances ; mais il le peint ici, sans y penser, comme le modèle des sentiments les plus fidèles ; et, à la honte du siècle, ces absurdités passent à la faveur de la musique. Concluons que toute comparaison doit être juste, agréable, et ajouter à son objet, en le rendant plus sensible.

DIALOGUES EN VERS.

L’art du dialogue consiste à faire dire à ceux qu’on fait parler ce qu’ils doivent dire en effet. N’est-ce que cela ? me répondra-t-on. Non, il n’y a pas d’autre secret ; mais ce secret est le plus difficile de tous. Il suppose un homme qui a assez d’imagination pour se transformer en ceux qu’il fait parler, assez de jugement pour ne mettre dans leur bouche que ce qui convient, et assez d’art pour intéresser.

Le premier genre du dialogue, sans contredit, est celui de la tragédie : car non-seulement il y a une extrême difficulté à faire parler des princes convenablement ; mais la poésie noble et naturelle, qui doit animer ce dialogue, est encore la chose du monde la plus rare.

Le dialogue est plus aisé en comédie ; et cela est si vrai que presque tous les auteurs comiques dialoguent assez bien. Il n’en est pas ainsi dans la haute poésie. Corneille lui-même ne dialogue point comme il faut dans huit ou neuf pièces. Ce sont de longs raisonnements embarrassés. Vous n’y retrouvez point ce dialogue vif et touchant du Ciel (acte III, sc. iv) :

le cid.

Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.

chimène.

Va, je ne te hais point.

le cid.
Tu le dois.
chimène.
Je ne puis.
le cid.

Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?