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COMPARAISONS.

transporté encore de ces comparaisons moins recherchées et plus frappantes, prises des plus grands objets de la nature, lesquels pourtant n’avaient pas encore été mis en œuvre.


Sur les pas des deux chefs alors, en même temps,
On voit des deux partis voler les combattants :
Ainsi, lorsque des monts séparés par Alcide,
Les aquilons fougueux fondent d’un vol rapide,
Soudain les flots émus de deux profondes mers
D’un choc impétueux s’élancent dans les airs ;
La terre au loin gémit, le jour fuit, le ciel gronde,
Et l’Africain tremblant craint la chute du monde.

(Ch. VIII, 155-162.)

La Henriade est encore le seul poëme où j’aie remarqué des comparaisons tirées de l’histoire et de la Bible ; mais c’est une hardiesse que je ne voudrais pas qu’on imitât souvent ; et il n’y a que très-peu de points d’histoire, très-connus et très-familiers, qu’on puisse employer avec succès. J’aime mieux les objets tirés de la nature. Que je vois avec plaisir Mornai vertueux à la cour comparé à la fontaine Aréthuse !


Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée
Roule au sein furieux d’Amphitrite étonnée
Un cristal toujours pur et des flots toujours clairs
Que jamais ne corrompt l’amertume des mers.

(Ch. IX, 269-72.)

Voici une comparaison qui me plaît encore davantage parce qu’elle renferme à la fois deux objets comparés à deux autres objets. C’est dans une épître sur l’Envie[1]. Il s’agit de gens de lettres qui se déchirent mutuellement par des satires, et de ceux qui, plus dignes de ce nom, ne sont occupés que du progrès de l’art, qui aiment jusqu’à leurs rivaux, et qui les encouragent :


C’est ainsi que la terre avec plaisir rassemble
Ces chênes, ces sapins, qui s’élèvent ensemble.
Un suc toujours égal est préparé pour eux ;
Leur pied touche aux enfants, leur cime est dans les cieux ;
Leur tronc inébranlable, et leur pompeuse tête.
Résiste on se touchant aux coups de la tempête.
Ils vivent l’un par l’autre, ils triomphent du temps,
Tandis que sous leur ombre on voit de vils serpents

  1. Troisième des Discours sur l’Homme, vers 135-144 (voyez tome IX).