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CHANSONS.

qu’on retient sans rougir, et qui sont des modèles de goût. Telle est celle-ci ; c’est une femme qui parle :

Si j’avais la vivacité
     Qui fait briller Coulanges ;
Si je possédais la beauté
     Qui fait régner Fontanges ;
Ou si j’étais comme Conti
     Des Grâces le modèle,
Tout cela sérail pour Créqui,
     Dût-il m’être infidèle.

Que de personnes louées sans fadeur dans cette chanson, et que toutes ces louanges servent à relever le mérite de celui à qui elle est adressée ! Mais surtout que de sentiment dans ce dernier vers :

Dût-il m’être infidèle !

Qui pourrait n’être pas encore agréablement touché de ce couplet vif et galant[1] :

En vain je bois pour calmer mes alarmes,
Et pour chasser l’amour qui m’a surpris ;
             Ce sont des armes
             Pour mon Iris.
Le vin me fait oublier ses mépris,
Et m’entretient seulement de ses charmes.

Qui croirait qu’on eût pu faire à la louange de l’herbe qu’on appelle fougère une chanson aussi agréable que celle-ci :

        Vous n’avez point, verte fougère,
L’éclat des fleurs qui parent le printemps ;
        Mais leur beauté ne dure guère,
        Vous êtes aimable en tout temps.
        Vous prêtez des secours charmants
Aux plaisirs les plus doux qu’on goûte sur la terre :
        Vous servez de lit aux amants.
        Aux buveurs vous servez de verre.

Je suis toujours étonné de cette variété prodigieuse avec laquelle les sujets galants ont été maniés par notre nation. On

  1. Ces vers se trouvent dans les Œuvres de Vergier, et aussi dans les Œuvres de La Fare.