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CARACTÈRES ET PORTRAITS.

pleines de sainteté et de grâce, deviennent l’instruction du genre humain. Notre siècle n’en pouvait recevoir de plus parfaite, parce qu’il ne voyait nulle part dans une si haute élévation une pareille pureté. C’est ce rare et merveilleux assemblage que nous aurons à considérer dans les deux parties de ce discours. Voici, en peu de mots, ce que j’ai à dire de la plus pieuse des reines ; et tel est le digne abrégé de son éloge. Il n’y a rien que d’auguste dans sa personne ; il n’y a rien que de pur dans sa vie. Accourez, peuples ; venez contempler dans la première place du monde la rare et majestueuse beauté d’une vertu toujours constante. Dans une vie si égale, il n’importe pas à cette princesse où la mort frappe ; on n’y voit point d’endroit faible par où elle put craindre d’être surprise : toujours vigilante, toujours attentive à Dieu et à son salut, sa mort, si précipitée et si effroyable pour nous, n’avait rien de dangereux pour elle. Ainsi son élévation ne servira qu’à faire voir à tout l’univers, comme du lieu le plus éminent qu’on découvre dans son enceinte, cette importante vérité qu’il n’y a rien de solide ni de vraiment grand parmi les hommes que d’éviter le péché, et que la seule précaution contre les attaques de la mort c’est l’innocence de la vie. C’est, messieurs, l’instruction que nous donne dans ce tombeau, ou plutôt du plus haut des cieux, très-haute, très-excellente, très-puissante et très-chrétienne princesse, Marie-Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne, reine de France et de Navarre. »

Il y a peu de choses plus faibles que cet éloge, si ce n’est les oraisons funèbres qu’on a faites depuis les Bossuet et les Fléchier. Il ne s’est guère trouvé après ces grands hommes que de vains déclamateurs qui manquaient de force et de grâce dans l’esprit et dans le style.

Les caractères sont d’une difficulté et d’un mérite tout autre dans l’histoire que dans les romans et dans les oraisons funèbres. Ou sent aisément qu’ils doivent être aussi bien écrits, et avoir de plus le mérite de la vraisemblance. Rien n’est si fade que les portraits que fait Maimbourg de ses héros. Il leur donne à tous de grands yeux bleus à fleur de tête, des nez aquilins, une bouche admirablement conformée, un génie perçant, un courage ardent et infatigable, une patience inépuisable, une constance inébranlable.

Quelle différence, bon Dieu ! entre tous ces fades portraits et celui que fait de Cromwell, en deux mots, l’éloquent et intéressant historien de l’Essai du Siècle de Louis XIV[1] !

  1. En tête du Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, publié en 1740 (fin de 1739), il y avait un Essai sur le Siècle de Louis XIV, en trente-huit pages,