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AMOUR.

Il faut voir à présent comment l’archevêque de Cambrai, l’illustre Fénelon, auteur du Télémaque, a traité le même sujet. Il a aussi parlé de l’Amour et de son temple (livre IV) :

« On me conduisit au temple de la déesse : elle en a plusieurs dans cette île, car elle est particulièrement adorée à Cythère, à Idalie, et à Paphos, C’est à Cythère que je fus conduit. Le temple est tout de marbre ; c’est un parfait péristyle : les colonnes sont d’une grosseur et d’une hauteur qui rendent cet édifice très-majestueux ; au-dessus de l’architrave et de la frise sont, à chaque face, de grands frontons où l’on voit, en bas-reliefs, toutes les plus agréables aventures de la déesse ; à la porte du temple est sans cesse une foule de peuples qui viennent faire leurs offrandes. On n’égorge jamais dans l’enceinte du lieu sacré aucune victime. On n’y brûle point, comme ailleurs, la graisse des génisses et des taureaux ; on n’y répand jamais leur sang. On présente seulement devant l’autel les bêtes qu’on offre, et on n’en peut offrir aucune qui ne soit jeune, blanche, sans défaut, et sans tache. On les couvre de bandelettes de pourpre brodées d’or ; leurs cornes sont dorées, et ornées de bouquets des fleurs les plus odoriférantes. Après qu’elles ont été présentées devant l’autel, on les renvoie dans un lieu écarté, où elles sont égorgées pour les festins des prêtres de la déesse.

« On offre aussi toute sorte de liqueurs parfumées, et du vin plus doux que le nectar. Les prêtres sont revêtus de longues robes blanches, avec des ceintures d’or et des franges de même au bas de leurs robes. On brûle nuit et jour, sur les autels, les parfums les plus exquis de l’Orient, et ils forment une espèce de nuage qui monte vers le ciel. Toutes les colonnes du temple sont ornées de festons pendants ; tous les vases qui servent au sacrifice sont d’or ; un bois sacré de myrte environne le bâtiment. Il n’y a que de jeunes garçons et de jeunes filles d’une rare beauté qui puissent présenter les victimes aux prêtres, et qui osent allumer le feu des autels ; mais l’impudence et la dissolution déshonorent un temple si magnifique. »

Je ne puis m’empêcher de convenir que cette description est d’une grande froideur en comparaison de la poésie que nous avons vue. Rien ne caractérise ici le temple de l’Amour ; ce n’est qu’une description vague d’un temple en général. Il n’y a rien de moral que la dernière phrase ; mais l’impudence et la dissolution caractérisent la débauche, et non pas l’amour. Tout le mérite de ce morceau me paraît consister dans une prose harmonieuse ; mais elle manque de vie.