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AMOUR.

Tout aussitôt, évoqué par la Haine,
Sort de ses flancs un monstre à forme humaine,
Reste dernier de ces cruels Typhons,
Jadis formés dans les gouffres profonds.
D’un faible enfant il a le front timide ;
Dans ses yeux brille une douceur perfide ;
Nouveau Protée, à toute heure, en tous lieux,
Sous un faux masque il abuse nos yeux.
D’abord voilé d’une crainte ingénue,
Humble captif, il rampe, il s’insinue ;
Puis tout à coup, impérieux vainqueur.
Porte le trouble et l’effroi dans le cœur.
Les Trahisons, la noire Tyrannie,
Le Désespoir, la Peur, l’Ignominie,
Et le Tumulte, au regard effaré,
Suivent son char de Soupçons entouré.
Ce fut sur lui que la terre ennemie
De sa révolte appuya l’infamie[1] ;
Bientôt séduits par ses trompeurs appas.
Des flots d’humains marchèrent[2] sur ses pas.
L’Amour, par lui dépouillé de puissance,
Remonte au ciel, séjour de sa naissance.


TEMPLE DE L’AMOUR, tiré de LA HENRIADE (chant ix, 1-555.)

Sur les bords fortunés de l’antique Idalie,
Lieux où finit l’Europe et commence l’Asie,
S’élève un vieux palais respecté par les temps :
La nature en posa les premiers fondements ;
Et l’art, ornant depuis sa simple architecture,
Par ses travaux hardis surpassa la nature.
Là, tous les champs voisins, peuplés de myrtes verts,
N’ont jamais ressenti l’outrage des hivers.
Partout on voit mûrir, partout on voit éclore
Et les fruits de Pomone et les présents de Flore ;
Et la terre n’attend, pour donner ses moissons,
Ni les vœux des humains, ni l’ordre des saisons.
L’homme y semble goûter dans une paix profonde
Tout ce que la nature, aux premiers jours du monde,
De sa main bienfaisante accordait aux humains :
Un éternel repos, des jours purs et sereins,
Les douceurs, les plaisirs que promet l’abondance,
Les biens du premier âge, hors la seule innocence.

  1. Mots impropres. (Note de Voltaire.)
  2. Les flots ne marchent pas. (Id.)