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ET DE L’ÉLOQUENCE.

Voici la traduction de Racan :

Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu’aux taudis couverts de roseaux.
Tous nos jours sont sujets aux Parques :
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.

Celle de Malherbe est plus connue.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
                         Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
                       N’en défend pas nos rois.

(Stances à Duperrier, 77-80.)

Je fus obligé de faire voir à ce jeune homme pourquoi les vers de Malherbe l’emportent sur ceux de Racan.

En voici les raisons :

1° Malherbe commence par une image sensible :

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre ;


et Racan commence par des mots communs qui ne font point d’image, qui ne peignent rien.

Les lois de la mort sont fatales ; nos jours sont sujets aux Parques.
Termes vagues, diction impropre, vice de langage : rien n’est plus faible que ces vers.

2° Les expressions de Malherbe embellissent les choses les plus basses. Cabane est agréable et du beau style, et taudis est une expression du peuple.

3° Les vers de Malherbe sont plus harmonieux ; et j’oserais même les préférer à ceux d’Horace, s’il est permis de préférer une copie à un original. Je défendrais en cela mon opinion en faisant remarquer que Malherbe finit sa stance par une image pompeuse, et qu’Horace laisse peut-être tomber la sienne avec O beate Sexti. Mais, en accordant cette petite supériorité à un vers de Malherbe, j’étais bien éloigné de comparer l’auteur à Horace ; je sais trop la distance infinie qui est de l’un à l’autre. Un peintre flamand peut peindre un arbre aussi bien que Raphaël. Il ne sera pas pour cela égal à Raphaël.

Ayant donc éprouvé que ces petites discussions contribuaient beaucoup à former et à fixer le goût de ceux qui voulaient s’instruire de bonne foi et se procurer les vrais plaisirs de l’esprit, je