Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
CONNAISSANCE DE LA POÉSIE

qui veulent connaître les vraies beautés de la langue française, et en bien sentir les charmes.

On ne peut se flatter de connaître une langue qu’à proportion du plaisir qu’on éprouve en lisant ; mais cette facilité ne s’acquiert pas tout d’un coup : elle ressemble aux jeux d’adresse, dans lesquels on ne se plaît que lorsqu’on y réussit.

J’ai vu plusieurs étrangers à Paris ne pas distinguer si une tragédie était écrite dans le style des Racine et des Voltaire, ou dans celui des Danchet et des Pellegrin. Je les ai vus acheter les romans nouveaux au lieu de Zaïde. Je me suis aperçu que, dans beaucoup de pays étrangers, les personnes les plus instruites n’avaient pas un goût sûr, et qu’elles me citaient souvent avec complaisance les plus mauvais passages des auteurs célèbres, ne pouvant distinguer dans eux les diamants vrais d’avec les faux. J’ai donc cru rendre service à ceux qui voyagent et à ceux qui parlent français dans la plupart des cours de l’Europe, en mettant sous leurs yeux des pièces de comparaison tirées des auteurs les plus approuvés qui ont traité les mêmes sujets : c’est, de toutes les méthodes que j’ai employées auprès des jeunes gens, celle qui m’a toujours le plus réussi ; mais ces pièces de comparaison seraient inutiles pour former l’esprit de la jeunesse, si elles n’étaient accompagnées de réflexions, qui aident des yeux peu accoutumés à bien observer ce qu’ils voient.

Je lisais, par exemple, il n’y a pas longtemps, avec un jeune comte de l’empire, qui donne les plus grandes espérances, les traductions que Malherbe et Racan on faites de cette strophe d’Horace (I, iv, 13-14) :


Pallida mors æquo pulsat pede pauperum tabernas
Regumque turres. O beate Sexti…


    « C’est, comme on l’a dit, une espèce bâtarde qui n’est ni poésie, ni prose. » Or, d’Alembert, dans son Éloge de Mirabaud, dit : « Le mélange de ces expressions (poétiques) forme, comme l’a dit M. de Voltaire, une espèce bâtarde. »

    Au mot Comparaisons, un passage de la Henriade est cité avec un vers qui n’a été imprimé dans aucune édition de ce poëme.

    Dans ses Remarques sur Pompée (au mot Langage) on blâme une expression que, dans son Commentaire sur Corneille, Voltaire trouve énergique. Mais, en général, les observations sur cette pièce, qui sont dans la Connaissance des beautés, etc., sont, pour le fond et pour la forme, reproduites dans le Commentaire sur Corneille.

    Au mot Liberté, un passage est cité du deuxième Discours sur l’Homme, dans lequel on conserve la version d’un vers que Voltaire avait changé en 1748, c’est-à-dire un an auparavant, et qui est une vive sortie contre Desfontaines.

    Je n’ai pas cru pouvoir exclure l’ouvrage de cette édition des Œuvres de Voltaire. (B.)