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LETTRE À L’OCCASION

de ce fonds à l’acquit des dettes de la marine ; elle vient d’en tirer un million de livres sterling pour son roi. Pourquoi donc ne voudriez-vous pas que, pour acquitter nos dettes, nous donnassions la moitié de ce que donne l’Angleterre, nous qui sommes du double plus riches qu’elle ? »

Vous demandâtes alors ce que c’était que ces dettes que nous avions contractées pendant la guerre. C’est, vous dit-on, ce que le roi a emprunté a un de payer le sang qu’on a versé pour lui, afin d’assurer des pensions aux officiers blessés, aux veuves, aux enfants des morts, afin de secourir ses alliés, afin de payer ceux qui ont nourri, habillé, armé le soldat. Il n’y eut jamais de dettes plus légitimes, et il n’y eut jamais une manière plus sage, plus aisée de les éteindre. Elle ne livre point le peuple en proie à la rapine des partisans ; elle porte avec égalité sur toutes les conditions, qui toutes, sans distinction, doivent contribuer au bien commun : et chaque année devient un soulagement par l’extinction d’une dette. Qu’est-ce qu’un impôt justement établi et qui ne gêne point le commerce ? c’est une partie de son bien qu’on dépense pour faire valoir l’autre. La nation entière, en se payant un tribut à elle-même, est précisément semblable au cultivateur qui sème pour recueillir. Je possède une terre sur laquelle je paye des droits à l’État ; ces droits servent à me faire payer exactement mes rentes, mes pensions, à me faire débiter avantageusement les denrées que ma terre me fournit. Le simple cultivateur est dans le même cas. S’il paye le dixième de sa récolte, il vend sa récolte un dixième plus cher. L’artisan taxé vend son travail à proportion de sa taxe. Un État est aussi bien gouverné que la faiblesse humaine peut le permettre, quand les tributs sont levés avec proportion, quand un ordre de l’État n’est pas favorisé aux dépens d’un autre, quand on contribue aux charges publiques, non selon sa qualité, mais selon son revenu ; et c’est ce qu’un tribut tel que le vingtième de tous les biens opère. Si on n’admet pas cet arrangement, il faudra nécessairement un équivalent : car il faut commencer par payer ses dettes.

Ce ne sont point les impôts qui affaiblissent une nation : c’est, ou la manière de les percevoir, ou le mauvais usage qu’on en fait. Mais si le roi se sert de cet argent pour acquitter des dettes, pour établir une marine, pour embellir la capitale, pour achever le Louvre, pour perfectionner ces grands chemins qui font l’admiration des étrangers, pour soutenir les manufactures et les beaux-arts, en un mot pour encourager de tous côtés l’industrie, il faut avouer qu’un tel impôt, qui paraît un mal à quelques-uns,