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DE L’IMPÔT DU VINGTIÈME.

convives qui n’étaient pas sortis de la capitale furent étonnés d’apprendre combien de belles maisons on avait bâties depuis quarante ans dans les principales villes des provinces, et combien d’équipages et de meubles somptueux on y voyait. Un homme de la compagnie assura qu’il n’y a point de petite ville dans laquelle il n’y ait au moins un orfèvre, et qu’il y en a plusieurs du dernier ordre qui en ont deux ou trois. C’est sur cela qu’un autre homme très-instruit nous dit qu’il y a en France pour plus de douze cents millions d’argent orfèvre. Il paraît qu’il a passé, depuis près de vingt-cinq ans, autant d’espèces à la Monnaie. On sait à quel point la balance du commerce nous a été favorable dans les années de paix, et nous avons certainement plus gagné dans ces années que nous n’avons perdu dans celles de la guerre. À peine cette guerre a-t-elle été terminée que nous avons vu tout d’un coup le change en notre faveur avec toutes les villes de l’Europe ; tous les effets commerçables ont augmenté de prix sur la place ; l’argent, qui était à six pour cent d’intérêt, est retombé à cinq. Vous savez que le prix des effets publics, de l’argent, et celui du change, sont le pouls du corps politique, qui marque évidemment sa santé ou sa maladie. Vous savez avec quelle rapidité prodigieuse le commerce immense de nos villes marchandes a repris vigueur ; vous savez qu’actuellement M. de Regio ramène à Cadix les trésors de la Havane, dans lesquels il y a plus de quatre-vingts millions pour notre compte.

Ce sont là des faits qui furent avoués par tout ce qui était chez vous, et qui ne purent être contestés par personne. Le même homme un peu contrariant qui avait déjà parlé des pauvres de Paris parla alors des pauvres de province. « J’avoue, dit-il, que les villes paraissent assez à leur aise ; mais la campagne est entièrement ruinée. » Un bon citoyen, homme de sens, prit la parole et dit : « Quand vous vivez abondamment dans un château du produit de votre terre, c’est une marque infaillible que cette terre rapporte. Or, certainement les villes ne vivent que de la culture des campagnes voisines : car ce ne sont pas les plaines de Magdebourg qui font subsister Orléans et Dijon ; or, si l’on vit dans l’abondance à Orléans et à Dijon, il est démontré que les champs d’alentour ne sont pas en friche. On dit toujours que la campagne est désolée ; on ne cessait de s’en plaindre du temps du grand Colbert, et c’est surtout à Paris qu’on le dit. On s’avise à l’entremets, en mangeant des petits pois qui coûtent cent écus le litron, de se donner le plaisir de gémir sur la destinée des paysans ; et depuis le temps que l’on étale si gaiement cette pitié,