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DES EMBELLISSEMENTS DE PARIS.

au pair, c’est-à-dire que toutes les dettes annuelles soient payées au bout de l’année. Je crois qu’il n’y a que deux États en Europe l’un très-grand, et l’autre très-petit[1], où l’on ait établi cette économie ; et nous sommes infiniment plus riches que ces deux États.

Enfin, que le roi doive beaucoup, ou peu, ou rien, il est encore certain qu’il ne thésaurise pas ; s’il thésaurisait, il y perdrait, lui et l’État. Henri IV, après des temps d’orage qui tenaient à la barbarie, gêné encore de tous côtés, et n’obtenant que des remontrances quand il fallait de l’argent pour reprendre Amiens des mains des ennemis ; Henri IV, dis-je, eut raison d’amasser en quelques années, avec ses revenus, un trésor d’environ 40 millions, dont 22 étaient enfermés dans les caves de la Bastille[2]. Ce trésor de 40 millions en valait à peu près 100 d’aujourd’hui ; et toutes les denrées (excepté les soldats, que j’ai appelés[3] la plus nécessaire denrée des rois) étant aujourd’hui du double au moins plus chères, il est démontré que le trésor de Henri IV répond à 200 de nos millions en 1749. Cet argent nécessaire, cet argent que ce grand prince n’aurait pu avoir autrement, était perdu quand il était enterré ; remis dans le commerce, il aurait valu à l’état 2 millions numéraires de son temps au moins par année. Henri IV y perdit donc ; et il n’eût pas enterré son trésor s’il eût été assuré de le trouver au besoin dans la bourse de ses sujets. Il en usait, tout roi qu’il était, comme avaient agi les particuliers dans les temps déplorables de la Ligue : ils enfouissaient leur argent ; ce qui était malheureusement nécessaire alors serait très-déplacé aujourd’hui. Le roi a pour trésor la manutention, l’usage de l’argent que lui produisent la culture de nos terres, notre commerce, notre industrie ; et avec cet argent il supporte des charges immenses ; or, de ce produit des terres, du commerce, de l’industrie du royaume, il en reste dans Paris la plus grande partie ; et si le roi, au bout de l’année, redoit encore, c’est-à-dire s’il n’a pu, comme nous avons dit, de ce produit annuel payer toutes les charges annuelles de l’État ; s’il n’est pas riche en ce

  1. Je ne sais quel est le petit État dont parle Voltaire. Le grand doit être l’Angleterre : non qu’à l’époque où fut composé ce morceau cela fût encore vrai ; mais cela l’était dans les années qui suivirent l’époque du voyage de Voltaire dans ce pays. La série des années 1730 à 1735 est incomparable à toute autre dans l’histoire financière de l’Angleterre ; voyez l’Histoire critique et raisonnée de la situation de l’Angleterre, par M.  de Montvéran, 1819-1822, huit volumes in-8°. (B.)
  2. Voyez tome XXI, page 320.
  3. Voyez tome XXII, page 309.