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PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV.

qui consulte sur les intérêts de ses enfants les interprètes des lois.

Il s’est trouvé un homme qui a soutenu le crédit de la nation par le sien : crédit fondé à la fois sur l’industrie et sur la probité, qui se perd si aisément, et qui ne se rétablit plus quand il est détruit. C’était un des prodiges de notre siècle, et ce prodige ne nous frappait pas peut-être assez : nous y étions accoutumés, comme aux vertus de notre monarque. Nos camps devant tant de places assiégées ont été semblables à des villes policées où règnent l’ordre, l’affluence et la richesse. Ceux qui ont ainsi fait subsister nos armées étaient des hommes dignes de seconder ceux qui nous ont fait vaincre[1].

Vous pardonnez, héros équitable, héros modeste, vous pardonnez sans doute, si on ose mêler l’éloge de vos sujets à celui du père de la patrie ! Vous les avez choisis. Quand tous les ressorts d’un État se déploient d’un concert unanime, la main qui les dirige est celle d’un grand homme ; peut-être cesserait-il de l’être s’il voyait d’un œil chagrin et jaloux la justice qui leur est rendue.

Grâce à cette administration unique, le roi n’a jamais éprouvé cette douleur, si cruelle pour un bon prince, de ne pouvoir récompenser ceux qui ont prodigué leur sang pour l’État,

Jamais, dans le cours de cette longue guerre, le ministre n’a ignoré ni laissé ignorer au prince aucune belle action du moindre officier ; et toutes nombreuses, toutes communes qu’elles sont devenues, jamais la récompense ne s’est fait attendre. Mais quel pouvoir chez les hommes est assez grand pour mettre un prix à la vie ? Il n’en est point ; et si le cœur du maître n’est pas sensible, on n’est mort que pour un ingrat.

Citoyens heureux de la capitale, plusieurs d’entre vous verront, dans leurs voyages, ces terrains que Louis XV a rendus si célèbres, ces plaines sanglantes que vous ne connaissez encore que par les réjouissances paisibles qui ont célébré des victoires si chèrement achetées ; quand vous aurez reconnu la place où tant de héros sont morts pour vous, versez des larmes sur leurs tombeaux ; imitez votre roi, qui les regrette.

Un de nos princes[2] écrivait au roi, de la cime des Alpes, qui étaient ses champs de victoire : « Le colonel de mon régiment a été tué ; vous connaissez trop, sire, tout le prix de l’amitié pour

  1. Les deux financiers dont il s’agit ici sont les deux frères Paris-Montmartel et Duverney.
  2. Le prince de Conti. Voyez la Préface de l’auteur, page 264.