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SUR DEUX ÉPÎTRES D’HELVÉTIUS.

Qui de ses fils gluants[1] s’efforce d’entourer
L’insecte malheureux qu’elle veut dévorer[2] !
Contre tes vains efforts mon âme est affermie ;
Dans les esprits oisifs[3] porte ta léthargie,
Ou refoule[4] en ton sein ton impuissant poison ;
J’ai su de tes venins préserver ma raison.
Esprit[5] vaste et fécond, lumière vive et pure,
Qui, dans l’épaisse nuit qui couvre la nature,
Prends, pour guider tes pas, le flambeau de Newton ;
Qui, d’un vain préjugé dégageant la raison,
Sais d’un sophisme adroit dissiper les prestiges :
Aux yeux de ton génie il n’est point de prodiges ;
L’univers se dévoile à ta sagacité,
Et par toi le Français marche à la vérité.
Des lois qu’aux éléments le Tout-Puissant impose
Achève à nos regards de découvrir la cause ;
Vole au sein de Dieu même, et connais les ressorts
Que sa main a forgés pour mouvoir tous les corps.
Ou plutôt dans sa course arrête ton génie :
Viens servir ton pays, viens, sublime Émilie,
Enseigner aux Français l’art de vivre avec eux :
Qu’ils te doivent encor le grand art d’être heureux ;
Viens, dis-leur que tu sus, dès la plus tendre enfance,
Au faste de ton rang préférer la science ;
Que tes yeux ont toujours discerné chez les grands
De l’éclat du dehors le vide du dedans.
Dis-leur que rien ici n’est à soi que soi-même,
Que le sage dans lui trouve le bien suprême,
Et que l’étude enfin peut seule dans un cœur[6],
En l’ornant de vertus, enfanter le bonheur.
Et toi, mortel divin[7], dont l’univers s’honore,

  1. Gluants forme une image plus désagréable que vraie. (Note de Voltaire.)
  2. Je ne sais si l’âme oisive peut être comparée à une mouche dans une toile d’araignée. (Id.)
  3. Dans les esprits oisifs porte ta léthargie.

    L’oisiveté est déjà léthargie. (Id.)
  4. Refoule en ton sein. Refoule n’est pas le mot propre. Elle peut reprendre, avaler, etc., son poison. Mais ces images sont dégoûtantes. (Id.)
  5. Les vers à Émilie sont beaux, mais ne sont pas liés au sujet. Il s’agit de travail, d’oisiveté. Il manque là un enchaînement d’idées.

    Tantum series juncturaque pollet.

    (Hor., Art poét., 242.) (Id.)
  6. Il faudrait que ces derniers vers fussent plus serrés et aussi plus rapprochés du commencement du portrait d’Émilie. (Id.)
  7. Pour Dieu, point de mortel divin ; le mot d’ami vaut bien mieux. Conservez la beauté des vers, et ôtez l’excès des louanges. (Id.)