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ÉLOGE FUNÈBRE DES OFFICIERS

frères tués dans les batailles ; ainsi le brave d’Aubeterre, le seul colonel tué au siége de Bruxelles, fut remplacé par son valeureux frère. Pourquoi faut-il que la mort nous l’enlève encore ?

Le gouvernement de la Flandre, de ce théâtre éternel de combats, est devenu le juste partage du guerrier qui, à peine au sortir de l’enfance, avait tant de fois en un jour exposé sa vie à la bataille de Raucoux[1]. Son père marcha à côté de lui à la tête de son régiment, et lui apprit à commander et à vaincre ; la mort, qui respecta ce père généreux et tendre dans cette bataille, où elle fut à tout moment autour d’eux, l’attendait dans Gênes sous une forme différente : c’est là qu’il a péri avec la douleur de ne pas verser son sang sur les bastions de la ville assiégée, mais avec la consolation de laisser Gênes libre, et emportant dans la tombe le nom de son libérateur.

De quelque côté que nous tournions nos regards, soit sur cette ville délivrée, soit sur le Pô et sur le Tésin, sur la cime des Alpes, sur les bords de l’Escaut, de la Meuse et du Danube, nous ne verrons que des actions dignes de l’immortalité, ou des morts qui demandent nos éternels regrets.

Il faudrait être stupide pour ne pas admirer, et barbare pour n’être pas attendri. Mettons-nous un moment à la place d’une épouse craintive, qui embrasse dans ses enfants l’image du jeune époux qu’elle aime[2], tandis que ce guerrier, qui avait cherché le péril en tant d’occasions, et qui avait été blessé tant de fois, marche aux ennemis dans les environs de Gênes, à la tête de sa brave troupe ; cet homme qui, à l’exemple de sa famille, cultivait les lettres et les armes, et dont l’esprit égalait la valeur, reçoit le coup funeste qu’il avait tant cherché : il meurt. À cette nouvelle la triste moitié de lui-même s’évanouit au milieu de ses enfants, qui ne sentent pas encore leur malheur. Ici une mère et une épouse veulent partir pour aller secourir en Flandre un jeune héros dont la sagesse et la vaillance prématurée lui méritaient la tendresse du dauphin, et semblaient lui promettre une vie glorieuse ; elles se flattent que leurs soins le rendront à la vie, et on leur dit : Il est mort[3]. Quel moment, quel coup funeste pour la fille d’un

  1. Le duc de Boufflers, lieutenant général, s’était mis avec son fils, âgé de quinze ans, à la tête du régiment de ce jeune homme ; il avait reçu dix coups de feu dans ses habits ; il est mort à Gênes, et son fils a eu son gouvernement de Flandre. (Note de Voltaire.) — Voyez, tome XV, le chapitre XXI du Précis du Siècle de Louis XV.
  2. Le marquis de La Faye, tué à Gênes. (Note de Voltaire.)
  3. Le comte de Froulai. (Id.)